Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/24

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stuc à l’extérieur et ornées de colonnes et de portiques. Toutes étaient peintes de couleurs gaies. Presque toutes n’avaient qu’un étage, de sept à neuf larges fenêtres donnant sur la rue. Un second étage n’était admis que sur le derrière de la maison qui donnait sur une cour spacieuse, entourée de nombreux petits bâtiments servant de cuisines, d’écuries, de celliers, de remises et d’habitations pour les domestiques. Une large porte cochère s’ouvrait sur cette cour, et à l’entrée une plaque de cuivre portait ordinairement l’inscription : « Maison de M***, Lieutenant, ou Colonel et Commandeur » — Très rarement « Général-Major », ou quelque dignité civile équivalente. Se trouvait-il dans une de ces rues une maison plus luxueuse, ornée d’une grille de fer doré et d’un portail de fer, alors la plaque de cuivre de l’entrée portait certainement la mention : « Un tel, conseiller de commerce, ou Citoyen honoraire. » C’étaient les « intrus », ceux qui étaient venus « on ne sait d’où » s’établir dans ce quartier, et qui étaient rigoureusement ignorés de leurs voisins.

Aucun magasin ne pouvait s’installer dans ces rues nobiliaires. Tout au plus aurait-on pu trouver dans quelque petite maison de bois, propriété de l’église paroissiale, une minuscule boutique d’épicier ou de fruitier. Mais alors la guérite de l’agent de police se trouvait au coin, en face, et toute la journée on voyait le soldat, armé d’une hallebarde, restant sur son seuil et saluant de son arme inoffensive les officiers qui passaient. Puis, à la tombée de la nuit il disparaissait pour exercer dans sa guérite le métier de savetier ou bien préparer quelque tabac à priser spécial, patronné par les vieux domestiques du voisinage.

La vie s’écoulait calme et paisible — du moins en apparence — dans ce faubourg Saint-Germain moscovite. Le matin, on ne voyait personne dans les rues. Vers midi, les enfants apparaissaient sous la conduite de précepteurs français et de bonnes allemandes, qui allaient les promener sur les boulevards couverts de neige. Plus tard,