Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/247

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il dans son journal ; « ce serait si intéressant d’être légèrement blessé ! »

Il fut tué. Il était à cheval, à côté du colonel qui commandait les soldats, lorsque « la bataille contre les insurgés » — on peut en voir la brillante description dans les annales de l’État-major — commença. Les soldats avançaient lentement sur la route, lorsqu’ils rencontrèrent une cinquantaine de Polonais, dont cinq ou six étaient armés de fusils et les autres de bâtons et de faux. Ils occupaient la forêt, et de temps en temps déchargeaient leurs fusils. Les soldats en firent autant. Deux fois le lieutenant Potalov demanda la permission de descendre de cheval et de courir à la forêt. Le colonel finit par se fâcher et lui ordonna de rester où il était. Néanmoins, un instant après le lieutenant avait disparu. Plusieurs coups de feu retentirent dans les bois, puis des cris sauvages ; les soldats se précipitèrent dans cette direction et trouvèrent le lieutenant étendu dans l’herbe teinte de son sang. Les Polonais tirèrent leurs dernières balles et se rendirent ; la « bataille » était finie, Potalov était mort. Il s’était lancé, le revolver au poing, au milieu du fourré où il avait trouvé plusieurs Polonais armés de piques. Il avait tiré toutes ses balles sur eux au hasard et en avait blessé un. Alors les autres s’étaient précipités sur lui avec leurs piques.

A l’autre extrémité de la route, de ce côté du lac, deux officiers russes se conduisirent de la façon la plus abominable envers les Polonais qui construisaient la même route, mais n’avaient pas pris part à l’insurrection. L’un des deux officiers entra dans leur tente en jurant et en déchargeant son revolver sur ces pacifiques déportés. Il en blessa deux grièvement.

La logique des autorités militaires de Sibérie exigeait que, puisque un officier russe avait été tué, on exécutât plusieurs Polonais. Le conseil de guerre en condamna cinq à mort : Szaramowicz, un pianiste, homme d’une trentaine d’années qui avait été le chef de l’insurrection ; Celinski, ancien officier de l’armée russe, âgé de