Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/257

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il me faut signaler un réveil qui se produisit de l’intérêt porté à la navigation, aux pêcheries et au commerce dans la région russe de l’Océan Arctique.

Un Sibérien, Sidorov, marchand et chercheur d’or, fit les efforts les plus persévérants pour éveiller cet intérêt. Il prévoyait que la création d’écoles navales, l’exploration de la côte de Mourman et de la Mer Blanche auraient pour résultat de développer largement les pêcheries et la marine russe. Mais, par malheur, cette initiative devait venir entièrement de Pétersbourg, et dans cette cité élégante, bureaucratique, officielle, littéraire, artistique et cosmopolite, on ne pouvait obtenir des dirigeants qu’ils prissent un intérêt quelconque à une chose « provinciale ». Les efforts de Sidorov ne firent que le rendre ridicule. C’est l’étranger qui devait obliger la Société de Géographie de Russie à s’occuper de notre extrême septentrion.

Dans les années 1869-71 de hardis Norvégiens, chasseurs de phoques, avaient, d’une façon tout à fait imprévue, ouvert la Mer de Kara à la navigation. Un jour, à la Société nous apprîmes à notre grand étonnement qu’un certain nombre de petits schooners norvégiens avaient parcouru dans tous les sens la mer située entre la Nouvelle-Zemble et la côte sibérienne, cette mer que nous décrivions dans nos publications comme « une vraie glacière, constamment prise par les glaces. » Même le lieu d’hivernage du célèbre Hollandais Barenz, ce point que nous croyions caché aux yeux des hommes par des banquises séculaires, avait été visité par ces Norvégiens aventureux.

« Une saison exceptionnelle, un état exceptionnel de la glace, » répondaient nos officiers de marine. Mais pour quelques-uns d’entre nous, il était de toute évidence qu’avec leurs petits schooners et leurs équipages peu nombreux, les hardis chasseurs norvégiens, qui au milieu des glaces se sentent chez eux, avaient osé franchir la glace flottante dont l’entrée de la Mer de Kara est ordinairement encombrée, tandis que les capitaines des