Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tours de la vieille ville, théâtre de tant de luttes religieuses.

La littérature socialiste n’a jamais produit beaucoup de livres. Elle s’adresse aux travailleurs, pour lesquels un sou est de l’argent, et sa principale force réside dans ses petites brochures et dans ses journaux. C’est pourquoi celui qui cherche à s’éclairer sur le socialisme ne trouve dans les livres qu’une petite partie de ce qu’il cherche. Ceux-ci contiennent les théories ou les arguments scientifique en faveur des aspirations socialistes, mais ils ne disent pas comment les travailleurs conçoivent l’idéal socialiste, ni combien ils sont préparés pour le réaliser pratiquement. Il n’y a donc qu’à prendre des collections de journaux et à les lire d’un jour à l’autre — les nouvelles aussi bien que les articles de fond — les premières peut-être plus encore que les derniers. Tout un mode nouveau de relations sociales et de méthodes nouvelles de pensée et d’action se dégage de cette lecture qui nous découvre ce que nous ne trouverions pas ailleurs, — notamment la profondeur et la force morale du mouvement — et nous montre à quel degré ces hommes sont pénétrés des théories nouvelles, qu’ils sont prêts à les appliquer à chaque jour de leur existence et pour lesquelles ils sont prêts à souffrir. Toutes les discussions relatives à l’impraticabilité du socialisme et à la nécessité d’une évolution lente sont de peu de valeur, car la marche de l’évolution ne peut être jugée qu’avec une connaissance exacte des êtres humains dont l’évolution est en cause. Comment saurait-on faire la somme de nombres dont on ignore la valeur ?

Plus je lisais, plus je voyais que je me trouvais en présence d’un monde nouveau, inconnu pour moi et totalement inconnu des savants auteurs de théories sociologiques — un monde que je ne pouvais connaître qu’en faisant partie de l’Association et en vivant de la vie des ouvriers. Je résolus donc de consacrer quelques mois à cette vie.

Mes amis russes m’y encouragèrent et après avoir