Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/303

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plus intime et apprendre ce que les ouvriers eux-mêmes en pensaient.

Les ouvriers avaient mis toutes leurs espérances dans le mouvement international. Jeunes et vieux se rendaient en foule au Temple Unique après leur longue journée de travail, pour y recevoir quelques bribes d’instruction ou pour écouter les orateurs qui leur promettaient un grand avenir, basé sur la communauté de ce qui est nécessaire à la production de la richesse, et sur la fraternité des hommes, sans distinction de caste, de race ou de nationalité. Tous espéraient qu’une grande révolution sociale, pacifique ou non, éclaterait bientôt et changerait complètement les conditions économiques. Pas un ne désirait la guerre sociale, mais tous disaient que si les classes dirigeantes rendaient la lutte inévitable par leur obstination aveugle, il faudrait combattre à outrance, pourvu que la lutte procurât aux masses opprimées le bien-être et la liberté.

Il faut avoir vécu à cette époque parmi les ouvriers pour se faire une idée de l’effet produit sur leurs esprits par l’extension soudaine de l’Internationale — de la confiance qu’ils avaient en elle, de l’amour avec lequel il en parlaient, et des sacrifices qu’ils faisaient pour elle. Des milliers d’ouvriers donnaient, jour par jour, semaine par semaine, année par année, leur temps et leur argent, prenant même sur leur nourriture, pour assurer l’existence de chaque groupe et la publication des journaux, pour défrayer les dépenses des congrès et venir en aide aux camarades qui avaient souffert pour la cause du parti. Je fus également frappé de l’influence moralisante exercée par l’Internationale. La plupart des internationalistes parisiens s’abstenaient presque complètement de boire et tous avaient renoncé à fumer. « Pourquoi nourrir en moi cette faiblesse ? » disaient-il. La vulgarité, la trivialité disparaissaient pour faire place à des aspirations nobles et élevées.

Les bourgeois ne comprendront jamais les sacrifices faits par les ouvriers pour soutenir leur cause. Il ne