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Chapitre II


MA BELLE-MÈRE. — LA MÉTHODE D’ENSEIGNEMENT DE M. POULAIN. — PLAISIRS DU DIMANCHE. — MON GOÛT POUR LE THÉÂTRE. — MA PARTICIPATION AU JUBILÉ DE NICOLAS Ier. — ENTRÉE DE MON FRÈRE À L’ÉCOLE DES CADETS.


Deux ans après la mort de notre mère, notre père se remaria. Il avait déjà jeté les yeux sur une jolie jeune fille, appartenant, cette fois, à une famille riche. Mais le sort en décida autrement.

Un matin, qu’il n’avait pas encore quitté sa robe de chambre, des serviteurs, l’air égaré, se précipitèrent dans sa chambre, annonçant l’arrivée du général Timoféiev, le chef du sixième corps d’armée auquel appartenait notre père. Ce favori de Nicolas Ier était un homme terrible. Il ordonnait de fouetter à mort un soldat coupable de la moindre faute pendant la parade ; il dégradait et envoyait comme simple soldat en Sibérie l’officier qu’il avait rencontré dans la rue, les crochets de son haut col rigide dégrafés. Près de Nicolas un mot du général Timoféiev pouvait tout.

Le général, qui auparavant n’était jamais venu chez nous, venait proposer à notre père la main d’une nièce de sa femme, mademoiselle Elisabeth Karandino, l’une