Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pareils procédés ne pouvaient avoir de succès en Russie, et peu de temps après cette association disparut. Presque tous les membres furent arrêtés et quelques-uns des meilleurs et des plus purs de la jeunesse russe furent envoyés en Sibérie avant d’avoir fait quelque chose. Le cercle d’éducation mutuelle, dont je parle, était institué en opposition aux méthodes de Nétchaïev. Ces quelques amis avaient jugé très sainement que le développement moral de l’individu doit être la base de toute organisation, quel que soit le caractère politique qu’elle puisse revêtir dans la suite, et quel que soit le programme qu’elle puisse adopter au cours des événements. C’est pour cela que le cercle de Tchaïkovsky, en développant graduellement son programme, prit une extension si considérable en Russie et obtint de si importants résultats ; c’est pour cela que plus tard, quand les féroces persécutions du gouvernement provoquèrent une lutte révolutionnaire, il produisit ce groupe remarquable d’hommes et de femmes qui succombèrent dans le combat terrible qu’ils avaient osé engager contre l’autocratie.

A cette époque, cependant — c’est-à-dire en 1872 — le cercle n’avait rien de révolutionnaire. S’il était resté un simple cercle d’études, il se serait figé dans une immobilité de monastère. Mais les membres trouvèrent une occupation suffisante. Ils se mirent à répandre de bons livres. Ils achetaient des ouvrages de Lassalle, de Bervi (sur la condition des classes ouvrières en Russie), de Marx, des ouvrages d’histoire russe, etc., — toute l’édition à la fois — et les distribuaient aux étudiants des provinces. En quelques années il n’y eut pas de ville d’une certaine importance dans les « trente-huit provinces de l’Empire russe », pour me servir du langage officiel, où ce cercle n’eût pas un groupe de camarades occupés à répandre ce genre de littérature. Peu à peu, suivant l’impulsion générale des événements, et stimulé par les nouvelles qui lui parvenaient de l’Europe Occidentale, au sujet de l’extension rapide du mouvement ouvrier, le cercle devint de plus en plus un centre de