Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/395

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tion était devenue si mauvaise que je ne pouvais plus manger qu’un petit morceau de pain et un ou deux œufs par jour. Mes forces déclinaient rapidement et l’opinion générale était que je n’avais plus que quelques mois à vivre. Pour monter l’escalier qui menait à ma cellule au second étage, j’étais forcé de m’arrêter deux ou trois fois et je me souviens qu’un vieux soldat de garde me dit un jour avec pitié : « Pauvre homme, vous ne verrez pas la fin de l’été. »

Mes parents en furent très alarmés. Ma sœur Hélène essaya d’obtenir mon élargissement sous caution, mais le procureur Choubine lui répondit avec un sourire ironique : « Si vous m’apportez un certificat du médecin attestant qu’il mourra dans dix jours, je le relâcherai. »

Il eut la satisfaction de voir ma sœur s’affaisser sur une chaise et sangloter en sa présence. Elle réussit cependant à avoir gain de cause et obtint que je fusse examiné par un bon médecin — le médecin en chef de l’hôpital militaire de la garnison de Pétersbourg. C’était un vieux général, distingué et intelligent ; il m’examina de la façon la plus scrupuleuse et conclut que je n’avais aucune maladie organique. Les troubles dont je souffrais provenaient d’une oxygénation insuffisante du sang. « L’air, voilà tout ce qui vous manque, » dit-il. Puis il hésita pendant quelques minutes et ajouta d’un ton décisif : « C’est certain ; vous ne pouvez pas rester ici ; il faut qu’on vous transfère ailleurs. »

Je fus transféré à l’Hôpital militaire, qui est situé dans un quartier excentrique de Pétersbourg et qui possède une petite prison spéciale pour les officiers et les soldats qui tombent malades, étant sous le coup d’une instruction judiciaire. Deux de mes camarades avaient déjà été transférés à la prison de l’hôpital, quand il fut certain qu’ils mourraient bientôt de la phtisie.


A l’hôpital je ne tardai pas à me rétablir. J’occupais une grande pièce au rez-de-chaussée, tout près du poste