Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/405

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brusque mouvement j’attirai mon ami vers moi ; nous nous penchâmes du côté intérieur de la courbe et ce mouvement rapide redressa la voiture.

Le cheval suivit au trot la ruelle étroite, puis tourna à gauche. Deux gendarmes étaient là, à la porte d’un cabaret, et ils firent le salut militaire à mon ami, toujours coiffé de sa casquette militaire. « Assez, assez, tranquillise-toi, » lui chuchotai-je, car il était dans un état de surexcitation terrible, — « Tout va bien ! tu vois bien, les gendarmes nous saluent ! » A ce moment le cocher tourna son visage de mon côté et je reconnus en lui un autre ami, qui souriait d’un air heureux.

De tous côtés, nous apercevions des amis, qui nous faisaient signe ou nous souhaitaient bonne chance, tandis que nous passions au grand trot de notre magnifique cheval. Nous entrâmes enfin dans la Perspective Nevsky ; puis nous tournâmes dans une rue latérale. La voiture s’arrêta devant une maison et nous renvoyâmes le cocher. J’escaladai un escalier et arrivé en haut je tombai dans les bras de ma belle-sœur, qui m’avait attendu dans une douloureuse anxiété. Elle riait et pleurait à la fois ; elle me fit changer rapidement de costume et couper ma barbe compromettante. Dix minutes après, mon ami et moi quittions la maison et prenions un fiacre.

Pendant ce temps l’officier de garde à la prison et les soldats de l’hôpital s’étaient précipités dans la rue, ne sachant quelles mesures prendre. Il n’y avait pas un fiacre à des kilomètres à la ronde : tous étaient loués par nos amis. Une vieille paysanne dans la foule qui s’était rassemblée fut plus avisée que tout le monde. « Pauvres diables, disait-elle, comme se parlant à elle-même, ils vont sûrement passer par la Perspective et si quelqu’un suit en courant la rue qui mène droit à la Perspective, il la rattrapera. » Elle avait parfaitement raison, et l’officier courut au tramway qui stationnait tout près de là, et demanda aux conducteurs de lui prêter leurs chevaux pour envoyer quelqu’un jusqu’à la