Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/408

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mon évasion. Ce fut seulement après ma fuite qu’un ami courut chez elle pour lui apporter la bonne nouvelle. En vain protesta-t-elle de son ignorance. Elle fut séparée de ses enfants et emprisonnée pendant quinze jours. Quant à la sœur de ma belle-sœur, elle avait su vaguement que l’on projetait quelque chose, mais elle n’avait pris aucune part aux préparatifs. Le simple bon sens aurait dû faire comprendre aux autorités qu’une personne qui me visitait ouvertement dans ma prison, ne pouvait être mêlée à une affaire de ce genre. Néanmoins elle resta en prison pendant plus de deux mois. Son mari, un avoué bien connu, essaya en vain d’obtenir sa mise en liberté.

« Nous savons maintenant, lui dirent les officiers de gendarmerie, qu’elle n’a pas eu de part à l’évasion ; mais, voyez-vous, nous l’avons dit à l’empereur, le jour où nous l’avons arrêtée, que la personne qui avait organisé l’évasion était découverte, et en état d’arrestation. Il nous faut maintenant quelque temps pour préparer l’empereur à l’idée qu’elle n’est pas la vraie coupable. »

Je traversai la Suède sans m’arrêter nulle part, et j’arrivai à Christiana, où j’attendis quelques jours un bateau en partance pour Hull ; je profitai de mon séjour pour étudier l’organisation du parti agraire du Storthing norvégien. En me rendant au vapeur, je me demandais avec anxiété : « Sous quel pavillon voyage-t-il ? Est-il norvégien, allemand, anglais ? » Je vis alors flotter au-dessus de l’arrière le pavillon anglais (l’Union Jack), sous lequel tant de fugitifs russes, italiens, français, hongrois, et de toutes les nations, ont trouvé asile. Je saluai ce pavillon du fond de mon cœur.