Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/432

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formes actuelles de la propriété, de sacrifices individuels, de tentatives partielles de réorganisation et de révolutions partielles, avant que les idées courantes sur la propriété privée fussent modifiées. Et nous comprenions aussi que l’humanité ne renoncerait pas et ne pouvait renoncer tout d’un coup aux idées actuelles relatives à la nécessité de l’autorité, au milieu desquelles nous avons tous grandi. De longues années de propagande et une longue suite de révoltes partielles contre l’autorité, ainsi qu’une révision complète des doctrines actuellement déduites de l’histoire, seront nécessaires avant que les hommes comprennent qu’ils s’étaient mépris en attribuant à leurs gouvernants et à leurs lois ce qui n’était en réalité que la résultante de leurs propres habitudes et sentiments sociaux. Nous savions tout cela. Mais nous savions aussi qu’en prêchant une transformation dans ces deux directions, nous serions portés par le courant de l’humanité en marche vers le progrès. Nous marcherions avec la vague montante — non contre elle.

A mesure que je faisais plus intimement connaissance avec la population ouvrière et avec les hommes des classes cultivées qui sympathisaient avec elle, je m’apercevais qu’ils tenaient beaucoup plus à leur liberté personnelle qu’à leur bien-être. Il y a cinquante ans les ouvriers étaient prêts à vendre leur liberté individuelle à toutes sortes de maîtres, et même à un César, en échange d’une promesse de bien-être matériel. Mais maintenant ce n’était plus le cas. Je voyais que la confiance aveugle dans les chefs élus, même quand ceux-ci étaient choisis parmi les meilleurs esprits du mouvement prolétaire, disparaissait chez les ouvriers de race latine. « Nous devons savoir d’abord ce dont nous avons besoin, et alors nous pourrons le faire nous-mêmes mieux que quiconque, » c’était là l’idée que je trouvais répandue partout parmi eux, et beaucoup plus qu’on ne le croit généralement. Le principe posé par les statuts de l’Association Internationale : « L’émancipation des travailleurs