Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les fonds de l’État avaient été détournés pendant la guerre presque sur une aussi vaste échelle que pendant la guerre de Crimée.

Ce fut au milieu du mécontentement général qui régnait en Russie à la fin de 1877, que cent quatre-vingt-treize personnes arrêtées depuis 1873-1875, pour avoir pris part à notre agitation, furent traduites en justice. Les accusés, défendus par un certain nombre d’avocats de talent, gagnèrent tout de suite les sympathies du public. Ils produisirent une impression très favorable sur la société de Pétersbourg ; et quand on apprit que la plupart d’entre eux avait fait trois pou quatre années de prison préventive, en attendant leurs jugements, et que pas moins de vingt et un avaient mis fin à leurs jours par le suicide ou étaient devenus fous, la sympathie qu’ils éveillaient s’accrut encore, même parmi leurs propres juges. Le tribunal prononça contre un petit nombre des peines très dures, tandis que les autres ne furent condamnées qu’à des peines relativement légères ; le tribunal déclarait que la détention préventive avait duré si longtemps et constituait par elle-même une punition si dure qu’il n’y avait pas lieu, en bonne justice, d’aggraver encore la peine des prévenus. On espérait même que l’empereur atténuerait encore les condamnations. Mais il arriva, à l’étonnement de tous, qu’il ne revisa les arrêts de justice que pour les aggraver. Ceux que la Cour avait acquittés furent exilés dans des régions reculées de Russie et en Sibérie, et on infligea de cinq à douze ans de travaux forcés à ceux que la Cour avait condamnés à de courtes peines d’emprisonnement. Ce fut l’œuvre du chef de la troisième section, du général Mésentsov.

A la même époque, le chef de la police de Pétersbourg, le général Trépov, remarquant, au cours d’une visite à la maison de détention, que l’un des prisonniers politiques, Bogoloubov, ne quittait pas son chapeau pour saluer le satrape omnipotent, se précipita sur lui et lui donna un coup, et comme le prisonnier avait essayé de le rendre, il