Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/461

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La grande majorité de nos jeunes gens était alors hostile à une action de ce genre. Et en considérant maintenant le mouvement de 1870 à 1878, je puis même dire, sans craindre de me tromper, que la plupart de ces jeunes gens auraient été satisfaits, s’il leur avait été simplement permis de vivre au milieu des paysans et des ouvriers de fabrique, de les instruire, de travailler avec eux, soit individuellement, soit comme membres du gouvernement provincial, en exerçant une des innombrables fonctions, dans lesquelles un homme ou une femme instruit et sérieux peut se rendre utile aux masses populaires. Je connais ces hommes et j’en parle en parfaite connaissance de cause.

Cependant les condamnations furent impitoyables — stupidement barbares, parce que le mouvement qui était issu de l’état même des choses en Russie, avait des racines trop profondes pour pouvoir être enrayé par la simple violence. Cinq, dix et même douze ans de travaux forcés dans les mines, suivis du bannissement à vie en Sibérie, constituaient une peine ordinaire. Il y eut des cas comme celui de cette jeune fille qui fit neuf ans de travaux forcés et fut ensuite exilée en Sibérie pour le reste de sa vie, et dont le seul crime était d’avoir remis une brochure socialiste à un ouvrier.

Une autre jeune fille de quatorze ans, mademoiselle Goukovskaïa, fut exilée à perpétuité dans un village reculé de la Sibérie, pour avoir essayé, comme la Claire de Gœthe, d’exciter une foule indifférente à délivrer Kovalsky et ses amis, au moment où ils allaient être pendus — acte d’autant plus naturel en Russie, même au point de vue de l’autorité, que la peine capitale n’existe pas dans notre législation pour les crimes de droit commun, et que l’application de la peine de mort pour des crimes politiques était alors un fait nouveau, un retour à des traditions presque tombées dans l’oubli.

Reléguée dans le désert, cette jeune fille ne tarda pas à se noyer dans l’Iénisséi. Ceux mêmes qui étaient acquittés par les tribunaux étaient bannis par les gendarmes