Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/491

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à Clairvaux, à condamner d’une manière absolue l’institution des prisons tout entière.

La prison de Lyon est une maison « moderne », bâtie en forme d’étoile, d’après le système cellulaire. Les intervalles situés entre les rayons du bâtiment angulaire sont occupés par de petites cours au sol d’asphalte, et quand le temps le permet, les prisonniers y sont amenés pour y travailler en plein air. La plupart d’entre eux s’occupent du battage des cocons de vers à soie dont ils retirent la bourre de soie. Des bandes d’enfants sont aussi admis dans ces cours à certaines heures. Je contemplai souvent de ma fenêtre ces être amaigris, épuisés, mal nourris, — des fantômes d’enfants. Tous ces minces visages, tous ces corps maigres et grelottants portaient les marques évidentes de l’anémie, et le mal s’aggravait non seulement dans les dortoirs, mais encore dans les cours, en plein soleil. Que peuvent devenir ces enfants quand ils sortent de pareilles écoles, la santé ruinée, la volonté annihilée, l’énergie brisée ? L’anémie, qui tue l’énergie et le goût du travail, qui affaiblit la volonté, détruit l’intelligence et pervertit l’imagination, est l’instigatrice du crime à un beaucoup plus haut degré que la pléthore, et c’est précisément cet ennemi du genre humain qui est engendré dans les prisons. Et puis, quels sont les enseignements que ces enfants reçoivent dans un pareil milieu ! L’isolement pur et simple, même rigoureusement appliqué, — ce qui est chose impossible — ne présenterait qu’un mince avantage. L’air qu’on respire dans toutes les prisons n’est qu’une glorification de cette passion des jeux de hasards qui constitue la véritable essence du vol, de l’escroquerie et d’autres actes anti-sociaux de même nature. Des générations entières de futurs détenus sont élevées dans ces établissements que l’État entretient et que la société tolère, simplement parce qu’ils ne veulent pas que leurs propres maux soient discutés et disséqués. — « Quiconque est mis en prison dans sa jeunesse, devient gibier de prison pour la vie » ; voilà ce que j’ai entendu dire