Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

travail ? disait-il. Est-ce que j’ai un métier ? Aucun ! Une fois dehors, il me faudra retourner auprès de mes vieux camarades ; eux, au moins, me recevront sûrement comme un vieil ami. »

Il buvait alors un coup de trop en leur compagnie, on s’excitait en paroles à quelque bonne farce, un de ces bons coups qui finissent par un vol, et moitié par faiblesse de volonté, moitié pour obliger ses seuls amis, il prenait part à l’affaire et se faisait pincer une fois de plus. C’est ce qui lui était déjà arrivé plusieurs fois dans sa vie. Cependant deux mois s’étaient écoulés depuis qu’il avait été libéré, et il n’était pas encore revenu à Clairvaux. Alors les prisonniers et même les gardiens commencèrent à être inquiets à son sujet. « A-t-il eu le temps d’aller se faire juger dans un autre ressort, qu’il n’est pas encore de retour ?

« — Espérons qu’il ne s’est pas trouvé mêlé à quelque méchante affaire, » disait-on. « Ce serait dommage : un si brave homme, et si tranquille ! » Mais on apprit bientôt par une lettre venant d’une autre prison que le vieux y était enfermé et qu’il cherchait à se faire transférer à Clairvaux.

Les vieux prisonniers offraient le plus pitoyable spectacle. Beaucoup d’entre eux avaient commencé à connaître la prison dès l’enfance ou dans leur première jeunesse, d’autres à l’âge mûr. Mais « une fois en prison, c’est la prison pour toujours » et l’expérience prouve la vérité de cet adage. Et quand ils ont atteint ou passé la soixantaine, ils savent qu’ils finiront forcément leur vie entre les quatre murs d’une prison. Pour hâter leur mort, l’administration pénitentiaire les envoyait travailler dans des atÉliers où l’on fabrique des chaussons de feutre faits avec toutes sortes de déchets de laine.

La poussière soulevée dans ces atÉliers ne tardait pas à communiquer à ces vieillards la phtisie qui finissait par les emporter. Alors quatre codétenus emportaient le vieux camarade dans la fosse commune ; le gardien fossoyeur et son chien noir étaient les seuls êtres qui