Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/535

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moderne, et quelle est la méthode d’éducation qui serait susceptible de permettre à chacun de se livrer en même temps à un travail manuel, sain et intéressant, ainsi qu’à un travail intellectuel. J’ai développé ces idées dans une série d’articles parus dans le Nineteenth Century et publiés depuis en volume sous le titre de Fields, Factories and Workshops.

Une autre grave question attira mon attention. On sait à quelles conclusions la formule de Darwin, « The Struggle for Existence » (La lutte pour l’existence) a entraîné la plupart de ses disciples, même les plus intelligents d’entre eux, comme Huxley. Aujourd’hui il ne se commet pas d’infamie dans la société civilisée ou dans les relations des blancs avec les races dites inférieures, ou des « forts » avec les « faibles », qui ne trouve son excuse dans cette formule.

Déjà pendant mon séjour à Clairvaux je sentais la nécessité de réviser complètement la formule de la lutte pour l’existence, en elle-même et dans son application aux affaires humaines. Les essais faits dans ce sens par quelques socialistes ne m’avaient pas satisfait, lorsque je trouvai dans une conférence faite par le professeur Kessler, zoologiste russe, un commentaire excellent de la loi de la lutte pour la vie. « L’appui mutuel, disait-il dans son discours, est aussi bien une loi de la Nature, que la lutte réciproque ; mais pour l’évolution progressive de l’espèce, la première est de beaucoup plus importante que la seconde. »

Ces quelques mots — qui n’étaient malheureusement illustrés que par quelques exemples (Siévertsov, le zoologiste dont j’ai déjà parlé dans un précèdent chapitre, en ajouta un ou deux autres) — ces quelques mots étaient pour moi la clef de tout le problème. Lorsque Huxley publia en 1888 son article atroce, The Struggle for Existence : a Program, je résolus de réunir sous une forme lisible les matériaux que j’avais accumulés pendant deux ans et de présenter les objections que j’avais à faire à sa façon de concevoir la lutte pour la