Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/55

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une pièce de pâtisserie vraiment artistique. D’autres messagers étaient envoyés dans la province de Novgorod pour en rapporter un jambon d’ours préparé spécialement pour le repas pascal du prince. Et pendant que la princesse et ses deux filles visitaient les couvents les plus austères, où le service religieux durait chaque soir trois ou quatre heures de suite, tandis qu’elles passaient la semaine de la Passion dans la plus grande tristesse, ne mangeant qu’un morceau de pain sec entre les stations qu’elles faisaient aux sermons orthodoxes, catholiques et protestants, le prince, tous les matins, faisait à Pétersbourg une tournée dans les magasins bien connus de Miloutine où l’on apporte de tous les coins du monde toutes sortes de fins morceaux. Là, il choisissait les friandises les plus extravagantes pour la table pascale. Des centaines de visiteurs venaient le voir, et on les invitait à « goûter un peu » à telle ou telle chose extraordinaire.

Le prince fit si bien que bientôt il eut mangé littéralement une fortune considérable. On vendit sa maison richement meublée et son magnifique domaine, et lorsque lui et sa femme devinrent vieux, il ne leur restait plus rien, pas même un foyer, et ils furent forcés de vivre chez leurs enfants.

Comment dès lors s’étonner qu’après l’émancipation des serfs, presque toutes ces familles du Vieux quartier des Écuyers fussent ruinés. Mais je ne dois pas anticiper sur les événements.

* * *

L’entretien du grand nombre de serviteurs que nous avions à la maison aurait été ruineux si toutes les provisions avaient dû être achetées à Moscou. Mais en ces temps de servage, les choses se faisaient très simplement. Quand venait l’hiver, mon père s’asseyait à sa table et écrivait ce qui suit :

« Au régisseur de mon domaine de Nikolskoïé, gouvernement de Kalouga, district de Mestchovsk, sur la rivière Siréna, de la part du prince Aléxéï Pétrovitch