Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/98

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voyant ce qui se passait dans le jardin, je ne m’y rendis pas, je restai en haut. J’étais en train de lire lorsqu’un page de chambre aux cheveux rouges carotte et à la figure couverte de taches de rousseur, vint à moi et m’intima l’ordre d’aller au jardin prendre part au carrousel.

« — Je n’en ferai rien. Ne voyez-vous pas que je lis ? » lui répondis-je.

La colère le défigurait : il n’avait d’ailleurs jamais une face bien agréable. Il était sur le point de sauter sur moi. Je pris la défensive. Il essaya de me frapper à la figure avec sa casquette. Je parai du mieux que je pus. Alors il lança sa casquette sur le plancher.

« — Ramassez-la. » « — Ramassez-la vous-même. »

Un tel acte de désobéissance ne s’était jamais vu à l’école. Je ne sais pourquoi il ne me roua pas de coups sur-le-champ. Il était beaucoup plus âgé et plus fort que moi.

Le lendemain et les jours suivants je reçus des ordres semblables, mais obstinément je restai en haut. Alors ce furent à tout propos les brutalités les plus exaspérantes. C’était assez pour réduire un enfant au désespoir. Par bonheur je fus toujours d’un caractère jovial : j’accueillis tout par des plaisanteries et n’en fis guère de cas.

D’ailleurs cela ne dura pas. Le temps se mit à la pluie, et nous passions presque toutes nos récréations à l’intérieur de la maison. Dans le jardin les élèves de la première ne se gênaient pas pour fumer, mais quand nous étions à l’intérieur du bâtiment, le fumoir était « la tour ». Cette tour était entretenue dans un état de parfaite propreté et un feu y flambait toujours. Les pages de chambre auraient sévèrement puni tout autre élève qu’ils auraient vu fumer, mais eux étaient toujours assis au coin du feu causant et grillant des cigarettes. Le moment qu’ils préféraient pour fumer, c’était le soir après dix heures, quand on nous supposait tous couchés. Ils ne se séparaient qu’à onze heure et demie, et pour éviter