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LES DÉCLASSÉS[1]



Il fait un temps affreux depuis le lever du jour.

On dirait qu’une force surnaturelle remue la terre, en extrait toute la boue emmagasinée dans ses entrailles et la vomit sur le sol gluant. Le ciel, couvert, est d’une couleur terne et les nuages bas rampent au ras des toits.

Les piétons s’embourbent profondément. De la boue, partout de la boue, toujours de la boue, encore de la boue ! Toute la

  1. Mamine, qui signe aussi du pseudonyme de Sibiriak, est un des plus sympathiques écrivains de la nouvelle école, encore inconnu à l’étranger, mais qui jouit d’une très grande popularité en Russie où il occupe, tant par son talent de premier ordre que par sa prodigieuse fécondité, une place marquée dans la littérature contemporaine.

    Dès le début de sa carrière littéraire, sa renommée fut solidement établie par la publication de son grand roman La Clique de la Mine, qui lui acquit les sympathies du public lettré. Et, chaque fois, à toutes ses œuvres qui paraissent dans les meilleures revues et les journaux libéraux, toujours heureux de lui ouvrir leurs colonnes, Mamine sait imprimer un intérêt nouveau, car tous les illogismes, toutes les misères de la vie russe, toutes les souffrances de ce peuple qu’il a si bien étudié, trouvent dans son âme un écho puissant. Ce sont ces jeunes gens entrés dans la carrière du travail, naturellement bons et loyaux, ne manquant pas d’esprit, comme le déclassé Bachka, mais qui ne portaient pas en eux la force morale nécessaire pour résister au milieu pernicieux dans lequel le hasard les avait jetés et qui tombent ; c’est une jeune fille, une enfant que sa mère profitant de la saison de la foire de Nijni-Novgorod, ce rendez-vous du monde commercial de toutes les Russies et de la Sibérie, s’empresse de vendre au premier acheteur venu de chair féminine, sans se douter le moins du monde du cynisme de son acte, qui lui apparaît comme tout à fait logique et dans l’ordre des choses ; c’est le condamné transporté en Sibérie que les différentes péripéties de sa vie ont amené au crime ; c’est sous le titre général d’Ombres enfantines toute une série de silhouettes d’enfants, sur lesquelles l’auteur se penche douloureusement, de ces petits êtres chétifs qui, au moment même où ils ont vu le jour, étaient déjà condamnés à disparaître grâce aux conditions anormales du