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aucun homme de génie n’avait encore découvert l’art de dresser les animaux femelles à fournir un lait abondant en dehors de la période d’allaitement, et même dans l’Ancien Monde, il existe plusieurs nations qui ont horreur du lait. Les Chinois et les Japonais, qui ont pourtant reçu de l’Occident tant de connaissances diverses, et leur civilisation même[1], n’ont jamais appris à se nourrir du lait de la vache domestique. Il est probable d’ailleurs que cette conquête de l’humanité demande beaucoup d’efforts et de temps, car les bêtes n’ont de lait que pour leur progéniture ; il tarit quand elles en sont privées. Hahn émet l’hypothèse que le premier emploi du lait fut d’en faire hommage aux dieux[2] ; peut-être fut-il d’abord versé en libation aux génisses brûlées sur les autels.

Le développement de l’industrie humaine ne s’est donc pas accompli suivant l’ordre que l’on avait imaginé jadis, mais il a dû se modifier diversement d’après la nature du milieu. Prenons pour exemple quelques-unes des populations de l’Ancien Monde. Les tribus de nains qui, dans l’Afrique centrale, vivent à l’ombre des forêts sans bornes pouvaient-ils avoir d’autre industrie dominante que celle de la cueillette et de la chasse rudimentaire, à moins que les populations voisines, leurs supérieures en force physique, ne leur permissent un peu d’agriculture et de commerce. De même les Nouer, cantonnés dans les marécages et sur les îles flottantes du Bahr el-Djebel et du Bahr el-Zeraf, ne sont-ils pas condamnés au travail exclusif de la pêche des graines et du poisson tant qu’ils resteront privés de toutes les communications faciles avec les terres asséchées du continent. Dans une partie du monde bien éloignée du bassin nilotique, les insulaires des Lofoten n’étaient-ils pas également voués par le destin à la capture de poisson de mer, avant que le va-et-vient des bateaux à vapeur eût rattaché ce littoral au reste de l’Europe ? Ailleurs, quand des agriculteurs eurent déjà domestiqué des animaux et appris à utiliser le lait des femelles, la nature même assigna l’état pastoral aux habitants des vastes contrées, devenues inhabitables aux chasseurs à cause de la rareté du gibier ou non utilisables pour les laboureurs par suite de l’insuffisance des pluies : ces terres ne se prêtent qu’au parcours des bestiaux qui, après avoir brouté l’herbe d’un district, se transportent rapidement vers d’autres parties de la steppe où ils trouveront des pâtu-

  1. Terrien de la Couperie, Chinese and Babylonian Record.
  2. Ed. Hahn, ouvrage cité, pp. 23 et suiv.