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PRÉFACE DE LA DERNIÈRE ÉDITION AMÉRICAINE[1]


Ce livre a eu la destinée paradoxale de devenir plus actuel en prenant des années. Depuis l’époque de sa publication, sa signification a sans cesse grandi. Car la valeur des idées, comme celle de toute chose, est relative. Elle augmente ou diminue suivant les conditions de notre esprit. Or, notre état psychologique s’est transformé progressivement sous la pression des événements qui agitent l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Nous commençons à comprendre la signification de la crise. Nous savons qu’il ne s’agit pas simplement du retour cyclique de désordres économiques. Que ni la prospérité, ni la guerre ne résoudront les problèmes de la société moderne. Comme un troupeau à l’approche de l’orage, l’humanité civilisée sent vaguement la présence du danger. Et son inquiétude la pousse vers les idées où elle espère trouver l’explication de son mal et le moyen de le combattre.

C’est l’observation d’un fait très simple qui a été l’origine de ce livre, le haut développement des sciences de la matière inanimée, et notre ignorance de la vie. La mécanique, la chimie et la physique ont progressé beaucoup plus vite que la physiologie et la psychologie. L’homme a acquis la maîtrise du monde matériel avant de se connaître soi-même. La société moderne s’est donc construite au hasard des découvertes scientifiques, et suivant le caprice des idéologies, sans aucun égard pour les lois de notre corps et de notre âme. Nous avons été

  1. Cette préface a été écrite par le Docteur Carrel, à New-York, en juin 1939, pour une nouvelle édition de son livre, sortie en Amérique avant la guerre.