Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/136

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plaisir, car moi aussi j’éprouvais, comme tout Paris, pour Mme Koning une admiration violente. Mes camarades me disaient : « Tu en as une veine de pouvoir l’approcher !… » Évidemment, mais je n’osais pas lui adresser la parole et je restais collé contre un portant, immobile, tout le temps de la répétition, la dévorant des yeux, exécrant son butor de mari, qui la traitait de « moule » et de « colimaçon ». Je songeais à part moi, non sans satisfaction, que ces traitements sauvages auraient finalement leur récompense et que la radieuse « moule », le « colimaçon » aux cheveux d’or et aux yeux de flamme ne resterait pas longtemps auprès de ce puant sémite parfumé, à vocabulaire et à façons de garde-chiourme. L’événement me donna raison.

Koning ne manquait pas non plus de jalousie — bizarre mélange ! — et quand Damala, le gros balourd qui jouait Jean Gaussin, prenait Fanny Legrand dans ses bras, il éclatait en « pas si près… ne la serrez pas… ne le serre pas » où transpirait un certain othellisme. Navrée, Mme Hading se tournait vers son auteur avec des yeux candides, comme pour dire : « Je ne fais cependant qu’obéir à mon texte et à vos indications » et rien n’était comique comme les bras ballants de Damala, sevrés de leur belle proie.

Une autre gracieuse personne. Mlle Darlaud, jouait Alice Doré. Elle avait un véritable tempérament dramatique, une voix délicieuse et dans le récit de son suicide, l’acteur Landrol, d’ailleurs excellent en Déchelette, bénéficiait de l’émotion voluptueuse qu’elle avait provoquée à l’acte précédent. Koning, comme un furieux, la poursuivait de « tu es idiote »… tu as l’air d’une gourde… cache tes pieds, nom de D..... » et il fallait certes à Jeanne Darlaud une grande patience pour subir cette avalanche d’imprécations. Depuis, j’ai entendu Antoine, homme de génie assez mal embouché, engueuler lui aussi son personnel, mais à la parigote, pas de cette façon orientale. Coiffé d’un fez, le sabre au côté, en pantalon rouge bouffant, Koning aurait eu l’air facilement d’un grand vizir dans une opérette de son compatriote Halévy. Il appartenait au bazar autant qu’au ghetto et ce qu’il réalisait sur la scène de son Gymnase — du « Théâtre de Madame », comme il disait avec une fatuité impayable, — c’était en somme le tohu-bohu.