Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/163

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pesamment, salua à la ronde et se retira, comme si elle trouvait cette soirée toute simple et même agréable. Alors cette réunion d’indifférents, se décollant des chaises, canapés et fauteuils Empire, commença à échanger des bonsoirs et des promesses de se revoir bientôt. Popelin avait renoué son flirt enragé. Les gens prenaient congé de lui, avec un air d’affectueux reproche. Il me faisait tellement de peine que j’eus envie de l’embrasser, en lui glissant à l’oreille : « Prenez garde, ça se voit… » Mais il n’eût évidemment pas compris, tout absorbé dans sa méditation libidineuse.

Au vestiaire, il en arriva une bonne. Masson, brutal et sans façon, cherchant son manteau avec fureur, bouscula une fort jolie personne, son ennemie de longue date, qui se mit à l’attraper devant tout le monde comme au pavillon de la marée : « Voulez-vous faire attention, malhonnête, hein, et ne pas me toucher avec vos pattes sales, hein ! » L’ennemi de Joséphine en demeura tout interloqué, comme un chien de cirque qui a raté son tour. Puis, fumant de rage et pestant, il disparut au milieu des ténèbres.

Plus tard, je suis retourné passer la soirée rue de Berry, une fois notamment en compagnie de Maurice Barrès. L’impériale demeure était infestée de juifs et de juives, qui avaient pullulé dans l’intervalle, et Claudius Popelin avait disparu. L’ennui était toujours de même qualité. Ganderax et son abondante barbe semblaient avoir pris plus d’importance. Frédéric Masson avait, chose extraordinaire, grandi et blanchi en se voûtant, comparable à ces « gayants » grotesques des fêtes du nord qui font peur aux petits enfants. C’était quelques mois avant la mort d’Edmond de Goncourt, retenu à Auteuil par la grippe. La princesse Mathilde n’avait pas changé. Elle semblait encore plus absente que naguère, aussi pétrifiée et ligneuse que les aigles de pierre et de bois qui encombraient toujours ses lugubres salons.