Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/167

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à l’aide de l’écriture et du dessin. Sa méthode de dessinateur, très conforme à sa méthode de poète, consistait à jeter de l’encre sur du papier, puis à modeler, et développer le hasard de la tache, en y laissant jouer la lumière par les blancs. Il avait le pâté sublime. Néanmoins ce procédé le contraignait à représenter invariablement des burgs au clair de lune, des pendus également au clair de lune, ou des grotesques à longue barbe, tels que « son ami de cœur, nommé Goulatromba. »

Homme de qui jamais un juron ne tomba.

Cette demeure déjà hétéroclite par sa composition et l’assemblage des styles, était en outre remplie de devises, quelques-unes formant calembour. Une d’elles, adressée à Vacquerie, était ainsi conçue :

Ora, i, clama.

C’est-à-dire : Prie, Va, Crie… horrible ! D’ailleurs si Vacquerie eût adressé au ciel une prière, c’eût été sans doute pour lui demander de le débarrasser, par les voies les plus rapides, du rayonnement de la gloire de Hugo. Ne pouvant l’effacer, cette gloire, il s’était collé à elle ; mais j’ai toujours pensé — et je n’étais pas le seul — que cette fameuse amitié n’avait été qu’une haine de près.

Un grand nombre de portraits de Hugo et des siens, la plupart sur verre, dits daguerréotypes, nous apparaissaient à mesure que nous faisions, en nous émerveillant, l’inventaire de la coquille phénoménale du plésiosaure de Guernesey. La plupart le représentaient, lui, dans le plein de sa force et de sa tension, fort différent du patriarche, attendri entre ses petits-enfants, qu’a conservé et transmis la légende démocratique. Imaginez un front immense et bombé d’hérédo ; suspendue à ce front, une face dure et glabre aux lèvres minces, tenant du mauvais prêtre et du cabotin ; entre ce globe et ce masque, les conjoignant, deux yeux implacables et bleus, visionnaires froids de la réalité. Là-dessous un corps trapu mais petit, fait pour porter des poids considérables, y compris celui des années. Tel était, avant l’heure sénile et adoucie, le puissant individu que le gouvernement impérial condamnait à la solitude et au replie-