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CHAPITRE PREMIER


La Prépondérance des médecins il y a trente ans.
L’École de Médecine en 1886 : les élèves, les professeurs, les concours.
Organisation impériale et Jacobine.
Chez Charcot : Waldeck-Rousseau, Brouardel, Pailleron, Bouchard, Debove, Bourneville, Damaschino, etc.
La Salpêtrière : Féré, Brissaud, Gilles de la Tourette, Ballet, Babinski, Sollier. — Le laboratoire de Gréhant au Jardin des Plantes : Germain Sée.



On se représente difficilement aujourd’hui le prestige dont jouissaient la médecine et les médecins dans la société matérialiste d’il y a trente ans. Le « bon docteur » remplaçait le prêtre, disait-on et la haute influence morale et sociale appartenait aux maîtres des corps, aux dispensateurs des traitements et régimes. Il semblait entendu que les savants étaient des hommes à part, échappant aux passions et aux tares habituelles, toujours désintéressés, souvent héroïques, quelquefois sublimes. Piliers de la République, bénéficiant de toutes les décorations et hautes faveurs du régime, disposant des secrets des familles, de la vertu des femmes et suspendant la menace héréditaire sur la tête des enfants, ceux que j’ai appelés les morticoles régnaient à la fois par la ruse et par la terreur. Bientôt la vogue des chirurgiens et de leurs mirifiques opérations, fréquemment inutiles, vint compléter cette tyrannie des bourreaux de la chair malade. Trop gâtés, trop adulés, les uns et les autres, ceux de la drogue et ceux du bistouri, abusèrent de la situation : financièrement, en exploitant leurs clients ou leurs dupes ; intellectuellement, en étendant jusqu’à la philosophie leur fatuité professionnelle, en prétendant réglementer les esprits. Or j’ai connu ce milieu à fond, car j’ai poursuivi pendant sept années, jusqu’à