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CHAPITRE II


Le professeur Potain chez lui, à Necker et à la Charité ;
Esbach, Suchard, Foubert et Vaquez. — Tillaux à l’Hôlel-Dieu.
Le papa Richet. — Pasteur et la rage. — Péan
à Saint-Louis, Besnier, les Fournier et la syphilis héréditaire.



Le professeur Potain était l’antithèse vivante de Charcot. Il aimait les hommes d’un cœur ardent, infatigable et il voyait surtout dans son art un moyen de les secourir. Sa bonté raffinée s’étendait, de sa famille et de ses amis, à ses clients, à ses élèves, aux inconnus. Toutes les forces de son intelligence aux antennes innombrables étaient dirigées vers le soulagement des maux, souvent désespérés, pour lesquels on l’invoquait de tous les étages de la société, de tous les coins de France et d’Europe. Sa vie de savant, de chercheur, d’expérimentateur hors ligne était dévorée par les appels, les supplications, les larmes d’une multitude d’infortunés, déjà en route pour les sombres bords, dont il était la seule espérance. Chacune de ses journées était occupée : le matin par l’hôpital, l’après-midi par une trentaine de visites qui remplissaient son petit calepin noir, de rendez-vous à son domicile boulevard Saint-Germain, en face de Charcot ; le soir, par un rassemblement d’observations et de notes prolongé jusqu’à une heure et demie, deux heures de l’aube. Il gagnait ainsi beaucoup d’argent, mais il en distribuait bien davantage, avec un tact, un génie du cœur qui décuplait le prix de ses charités. Avec cela, il était d’une petite santé, d’un physique souffreteux, à la fois sublime et ingrat, qui l’apparentait à Pascal et à Érasme. De chaque côté de son grand nez, ses yeux divergents, globuleux et pleins de pitié se conjoi-