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DEVANT LA DOULEUR

Mais lui écoutait sans entendre, mettait ces expansions troublantes sur le compte du fameux « puits », s’entêtait d’autant plus dans ses schémas. Il avait bâti, sur les extravagances de ces demoiselles, une théorie du sommeil, une autre de la veille, une troisième des rapports de l’âme et du corps, une quatrième de l’âme toute seule. Il ne lui venait pas à l’idée qu’il pût être mystifié. À la fin, cela faisait pitié et l’on en perdait le plaisir du jeu.

On n’imagine pas le degré de crédulité auquel peut descendre un savant qui veut justifier sa marotte à tout prix. On lui ferait prendre une pomme de terre pour un cheval au galop et le vicomte d’Avenel pour un historien. J’ai vu, de mes yeux vu, présenter à l’hystérique Sarah, sous le nez du Dr Luys, un tube bouché, avec ces deux mots : « ricin, colique ». Les premiers rangs de l’auditoire se tenaient les côtes. Le professeur, lui, ne bronchait pas. Il attendait que l’effet du « spasme idéoplastique intestinal » fût produit et promenait ensuite un regard victorieux sur l’assistance. Notez que, de la Charité, ces prodiges s’envolaient ensuite vers l’Académie de médecine, l’Académie des sciences et les traités spéciaux. Il y a encore aujourd’hui sans doute, dans des pays reculés, des gaillards à lunettes qui potassent pieusement nos fumisteries du cours de Luys à la Charité en 1890 et qui en discutent avec solennité… Saluez, ô Léon Bourgeois, la morale fondée sur la Science !

J’ai décrit dans les Morlicoies, au chapitre des « léchements de pieds », quelques-uns des abominables et incessants passe-droits auxquels donnent lieu les concours. Les diverses épreuves qui vont de l’internat à l’agrégation étaient en réalité, et de plus en plus à mesure qu’on montait en grade, des cérémonies fallacieuses, réglées d’avance, de moins en moins probantes quant à la supériorité scientifique des vainqueurs. Je me rappelle notamment un concours de médaille d’or qui fit scandale aux environs de 1890-1891, — je n’ai plus la date exacte, — auquel prenaient part trois de nos camarades, Maurice Nicolle, Dutil et Parmentier, ces deux derniers élèves de Charcot.

Maurice Nicolle, depuis chef de laboratoire chez Pasteur, était déjà, bien que tout jeune, un savant hors ligne ; d’une érudition immense, d’une intelligence égale, d’un caractère rigide et entier. Quand il avait déclaré, en levant le médius de la main