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LE ZOLA MAIGRE

empoisonneuses ou des voleuses, ou des anges d’une incomparable pureté. Les domestiques ronflent sous les tables, à côté des bouteilles vidées. Ce pendant qu’un peuple hâve, mais inculte, le vengeur de demain, montre le poing à ces fenêtres orgiaques, avant de se rendre à son dur travail. Parmi ces forçats de l’or et du pain circulent quelques Savants (avec un grand S), — ils ont tous le fameux front en tour et plissé de Zola, — lesquels répandent leur grand cœur en paroles, annoncent que cet excès de misère va finir, montent sur des promontoires montmartrois et s’attendrissent devant le soleil se couchant « dans sa gloire». Conception des choses, des gens et des « vaftes problèmes contemporains, mon bon », extrêmement courte et sommaire, mais que le « géant » vaseux de Médan délaya et redélaya dans trente volumes de huit cents pages, représentants et garants, devant l’étranger, de la société française au XIXe siècle.

C’est néanmoins dans la peinture de ceux qu’il appelait des « nobles », des « fins de race » que l’égoutier de Médan s’est surpassé, reprenant à son compte toutes les balançoires des journaux républicains, après l’échec du 16 Mai. Il faut voir cela dans le texte, les mœurs et habitudes qu’il prête à ses modèles, tous efflanqués et malingres, traînant une existence oisive et désolée au milieu des « superstitions d’un autre âge ». C’est le cortège des malheureux qui tournent le dos à leur siècle, à Darwin, à Spencer, à Claude Bernard. Car pour Zola, comme d’ailleurs pour Clemenceau, qui en est demeuré à cette éthique, il est inadmissible qu’un « noble » ait jamais lu Darwin ni Claude Bernard, ni même Letourneau ou Ernest Haeckel. Un monsieur qui a un titre a été forcément élevé chez les Jésuites et chacun sait que, chez les Jésuites, on n’étudie ni l’histoire, ni les sciences, ni la sociologie. On en demeure à ces auteurs réactionnaires, à ces suppôts de l’obscurantisme qui sont Homère, Virgile et Racine.

Car Zola, ai-je besoin de le dire, détestait et maudissait les humanités. Les abeilles qu’est-ce que c’est que ça ? Des aristocrates du monde des insectes. Elles ont des reines, Dieu me pardonne ! Parlez-moi des mouches de water-closets, qui tournent comme de bonnes démocrates, dans l’atmosphère des conduites de plomb — voir Pot-Bouille — et qui participent au