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l’exposition de 1889

baptisé Tour Eiffel, comme sa chose. Il fut très vexé quand François Coppée protesta contre la nouvelle laideur qui devait faire couler tant d’encre vaine et attirer à Paris tant de badauds. On sait aujourd’hui que les Expositions universelles sont en général des entreprises désastreuses, plus encore par leurs conséquences lointaines que par leurs résultats immédiats. Une partie des populations provinciales et rustiques, qu’elles aspirent à la façon de pompes d’épuisement, est perdue désormais pour la vie normale et régulière des champs. Ces grands bazars à décorations font monter le prix des objets de première nécessité et, sous un régime républicain, c’est-à-dire dominé par l’étranger, favorisent la concurrence étrangère aux dépens des nationaux. Elles sont le triomphe de l’intermédiaire, c’est-à-dire du métèque et du juif. Par ailleurs, il ne sort d’elles rien d’utile ni de durable. C’est pourquoi on les a appelées justement des machines à faillites et à prostituées.

En 1889 l’opinion publique était encore éloignée de ces constatations, devenues depuis banales. Le centenaire de 1789 — la date la plus funeste de notre histoire, quoi qu’en pensent ces négateurs de la réalité qui s’intitulent libéraux — ajoutait à l’effervescence. Je ne me rappelle pas sans rougir l’état de stupidité, d’ignorance politique et historique où nous croupissions, mes camarades et moi, ainsi que tout notre milieu. Le nombre d’insanités, de lieux communs qui furent débités solennellement, officiellement, ou aux tables de familles bourgeoises, dans les centres éclairés — comme l’on disait — à l’occasion de ce centenaire, est quelque chose d’invraisemblable. Les mêmes personnes qui déploraient les tueries de 1793 — tout en les excusant par de prétendues nécessités d’État — admiraient sans réserve la folie moins sanglante, plus meurtrière peut-être, de 1789. Il y avait bien les ouvrages de Taine ; mais le pessimisme systématique et l’appareil de fausse science, qui gâtent ces volumes par ailleurs vivants et intéressants, confondaient dans une même réprobation l’ancien régime et la Révolution, la coutume et la loi écrite, la décentralisation et le jacobinisme napoléonien, les constructeurs et les destructeurs. De sorte que l’impression qui ressort des dramatiques tableaux de Taine est celle d’une ménagerie en démence. Nul moins que ce prétendu déterministe n’a démêlé les causes véritables des maux dénon-