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DEVANT LA DOULEUR

paysage. Il disait : « Boulanger n’est pas intelligent, mais il a une puissance de séduction personnelle, qui tient à ses origines maternelles écossaises. Il a naturellement les réactions, les réflexes qui plaisent à la masse de nos compatriotes. Il ne serait perdu que le jour où il écouterait les avis du dehors, au lieu de suivre ses propres impulsions. » Il ajoutait : « Ce qui a fait l’immense popularité du général Bonaparte, c’est ce qu’il avait en lui d’italien. Imaginez un chat se présentant comme chien au suffrage d’une assemblée de chiens. Les chiens songeront : « Ce chien est épatant. Il grimpe aux arbres, il aboie d’une façon que nous ne pouvons pas imiter. Prenons-le comme chef, il nous amusera et il nous conduira à la victoire. » De même pour Gambetta, « Génois avant tout et qui au fond méprisait sincèrement les Français ». En d’autres termes, l’homme populaire, selon Brachet, était un composé mi-parti de qualités ou de défauts autochtones et d’un apport venu de l’extérieur. Il concluait : « Nous sommes toujours le pays du pavois, de l’acclamation. »

Un de ses aphorismes préférés était celui-ci : « Le Français est logicien… comme le diable. Son précipice, c’est le cartésianisme et l’amour de la symétrie. »

Un autre était que le principal don du chef véritable est de savoir appliquer la force au moment opportun, afin de s’épargner une casse ultérieure plus grande. Louis XI, selon lui, possédait ce discernement au plus haut point : « C’est certainement cela qui avait séduit Commines. » Il chérissait la mémoire de Philippe le Bel. Le seul politique intéressant de la Révolution était, à son avis, Maximilien Robespierre, avec cette restriction qu’il appliquait la force à contretemps, que l’esprit de géométrie ruinait en lui l’esprit de finesse. Il méprisait avec violence les prétendus hommes d’État de la République, notamment Jules Ferry, dont il déclarait l’œuvre abjecte et antinationale. Son ardent patriotisme ne distinguait dans la foule des parlementaires, de droite comme de gauche, — car il y avait encore une droite à ce moment-là, — que des profiteurs et des bavards. Il pensait de la puissance juive exactement ce qu’en pensait Drumont, auquel il accordait le don suprême : l’objectivité. Il pensait des conservateurs d’assemblée que c’étaient les plus niais des hommes et totalement inéducables, « attendu