Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE VIII


Service mililaire. — D’Esparbès et Vanor.
Naissance de l’antimilitarisme.
Le Val-de-Grâce : Kelsch el Villemin. — Les fils à papa.
Le Temps nous morigène. — Adrien Hébrard.



Dans le temps où l'Action française chassait le juif déserteur Henry Bernstein de la Comédie-Française, une vieille petite dame sémite, ivre de rage, proclamait à sa table, devant une vingtaine de salonnards : « Mais Léon Daudet, lui aussi, a déserté ; je le sais, j’en suis certaine. » Un de mes amis présent lui répondit : « Non, madame, ça se saurait. »

En effet, ainsi qu’en témoigne mon livret militaire, — classe 1886 — j’ai accompli, sans encourir une seule punition, une année de volontariat au 46e régiment de ligne, rue de Babylone à Paris, en qualité de médecin auxiliaire. J’ai fait ensuite mes trois périodes réglementaires de réserve et de territoriale au 28e bataillon de chasseurs alpins à Grenoble et au fort de Vulmis dans la Tarentaise. Ce sont là pour moi d’excellents souvenirs, traversés d’épisodes joyeux. À Babylone, j’avais comme compagnon Jean Charcot, qui depuis s’est fait un nom d’explorateur au pôle Sud, Edmond Fournier, dont j’ai dit précédemment les remarquables travaux, Henry Meige, Paul Noguès, devenus deux lumières de la médecine et de la chirurgie, Georges d’Esparbès et Georges Vanor, ce dernier enlevé trop tôt à notre amitié. Je ne dirai pas que la servitude de la caserne nous enchantait tous les jours, que la visite à l’infirmerie le matin nous était un délice, mais nous accomplissions tous notre besogne de notre mieux, en esquivant le plus possible les corvées supplémentaires.