Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/406

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compte que si l’on me croyait un bon petit jeune homme inoffensif, on prendrait la douce habitude de s’essuyer les pieds sur moi. En outre, la polémique m’attirait. Je le dis à Maujan, un bon gros homme, d’allures militaires, pas très malin, mais très loyal. Il m’affirma qu’il me laisserait m’exprimer librement, et il tint parole. Des troubles au Quartier latin, le meurtre — causé par le jet d’un pyrophore, — d’un étudiant nommé Nuger, me permirent de traiter le préfet de police d’alors, M. Lozé, sans aucune espèce de ménagement. Cet animal de Lockroy, qui avait besoin de Lozé pour ses triquamardages électoraux du XIe arrondissement, en conçut une violente hargne. Je l’envoyai vertement coucher. Ce fut le début d’une haine implacable, dont les divers épisodes sont aujourd’hui sans intérêt.

Paschal Grousset, l’ancien ministre des relations extérieures de la Commune, — avec plus d’extérieur que de relations, disait Rochefort, — était rédacteur en chef de Germinal. Affable et fleuri, il rédigeait, sous un pseudonyme, des ouvrages pour la jeunesse. Faisait ses débuts en même temps que moi, un jeune et svelte informateur, du nom de Gérault-Richard, dirigé par le chef du grand reportage Eugène Clisson, un juif débrouillard. Ce dernier avait été rédacteur à l’Événement, sous une invraisemblable fripouille du nom d’Edmond Magnier. Il racontait, de son ancien patron, cent mille atrocités joviales, à faire dresser les cheveux sur la tête. Gonzague Privat en savait aussi. Quant à Gérault-Richard, il témoignait déjà d’une aimable familiarité et d’un laisser-aller plein de promesses. Nul ne prévoyait qu’il serait, quelques années plus tard, un des piliers de la Sociale. Je ne me doutais pas davantage que nous nous alignerions un jour, l’un contre l’autre, au Parc des Princes, pour les beaux yeux de Jean Jaurès.

Pour la fondation de Germinal — qui ne vécut pas beaucoup plus longtemps que la fille de Du Périer — un dîner eut lieu chez un restaurateur des boulevards. Au dessert, Maujan jura que nous allions « faire claquer largement au vent le drapeau des revendications républicaines et sociales ». Il me demanda, comme début, d’exposer aux lecteurs un projet d’impôt de son invention, qu’il m’expliqua dans un coin et auquel je ne compris pas un mot. Ce qui ne m’empêcha pas d’en faire, le surlen-