Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/408

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l’Indépendance belge. Gaston Bérardi, qui a blanchi depuis, était blond, avec une barbe magnifique, des yeux clignotants et un débit précipité. Il a dans la société parisienne un rôle effacé, mais très durable, d’utilité, que je comparerai à celui de Falconnier à la Comédie-Française. Il est de toutes les répétitions générales, de presque tous les mariages, de tous les enterrements, et, quand vient l’été, d’un grand nombre de pique-niques. Il a de l’esprit naturel, mais il ne le manifeste que tous les cinq ans environ, par un mot qu’on répète pendant six mois. Ce qui fait périodiquement autour de lui quatre ans et demi d’ombre et de silence. Il est le fils du fondateur de l’Indépendance belge et il a connu Frédérix, le critique littéraire de cet organe, jadis important, lequel ressemblait à Coquelin aîné et qu’il ne faut, à aucun prix, confondre avec Frédéric, l’ex-patron de la Tour d’argent.

Gaston Bérardi donne périodiquement des petites fêtes où des actrices récitent des vers, où des cantatrices poussent la note, comme on dit à Toulouse et à Montpellier. J’ai été à deux ou trois de ces mornes petites fêtes. On y voyait Vacquerie, qui sortait peu, toute la famille Meurice, des personnalités très diverses, car Bérardi, étant répandu, se ramasse en d’innombrables relations. Il a fini par ressembler à « l’homme de neige » de Mme Sand ; mais s’il fait le compte, avant de disparaître, des mains qu’il a serrées dans sa vie, il arrivera facilement à quelques millions. Je livre cette statistique au vicomte d’Avenel, le célèbre compteur de carottes, marchand de cidre frelaté et rédacteur à la Revue des Deux Mondes.

Ma brève collaboration à l’Indépendance belge cessa sur un article consacré au scandale naissant du Panama, article que Bérardi jugea dangereux, ininsérable, susceptible d’attirer des procès. L’idée de diminuer l’étendue de ses relations et le peuple de ses poignées de mains lui était insupportable. J’en conclus qu’un directeur de journal ne doit fréquenter que ses amis, s’il veut conserver sa liberté d’allures, et ne jamais accepter d’invitation à dîner chez des gens qu’il ne connaît pas depuis dix ans au moins. C’est aussi le meilleur moyen d’éviter ce que les gastronomes appellent tragiquement un coup de fusil.

Fernand Xau était un type actif, rond en affaires, bambocheur, trapu, de petite taille, toujours enroué, fort laid, bon