Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lant, disait « veuneffe » pour « jeunesse », « f’est une fove fingulière » pour « c’est une chose singulière » et semait son discours de « hein, mon ami ? hein, mon bon ? hein, mon bon ami ? » qui exigeaient l’assentiment de son interlocuteur. Henri Céard, ex-carabin, l’initiait à Claude Bernard et à Darwin, ainsi qu’au déterminisme expérimental. Ayant besoin d’un patron, Zola choisit Claude Bernard et, à distance, cela est d’un joli comique. On ne voit pas bien en effet le rapport qui relie l’Assommoir aux Leçons sur la fièvre ou Nana à la fameuse Introduction. Mais l’important était, aux yeux du maître pressé de Médan, que cet amalgame eût l’air de quelque chose, d’une doctrine.

Il déclarait en riant : « Mon prochain livre — il s’agissait de Pot-Bouille — va me faire traiter de cochon… hein, mon ami ?… Le fait est qu’il y en a… Mais c’est la faute des petits bourgeois que je peins. Ce n’est pas la mienne. »

Il se plaisait au contraste des obscénités ou des fécalités qui remplissaient ses livres et de sa propre existence parfaitement tranquille alors et sans débordement. À l’entendre, la chasteté était indispensable à qui veut plonger d’un cœur résolu dans l’égout social et en rapporter d’imposants échantillons. Dès ses débuts il avait déifié la Vérité, l’avait campée, la plume à la main, entre le dépotoir et la Morgue et n’entendait pas qu’on le contredît là-dessus. Il ne manquait ni de cordialité ni de rondeur, ni de faconde, ni, à l’occasion, de ressentiment. Capable de dissimulation, il détestait Edmond de Goncourt, qui le lui rendait bien. Leurs natures n’étaient pas faites pour sympathiser. Goncourt était jusqu’au bout de ses doigts nerveux, jusqu’à la pointe de sa moustache blanche, jusqu’au feu noir et mouvant de son regard, un aristo. Il y avait en lui du précurseur. Avant la France juive, il méprisait les juifs. Son horreur du parlementarisme était absolue. La démocratie le faisait positivement vomir. Il y avait en lui un admirable et délicat artiste, d’un goût infaillible, passionné pour les estampes rares, les fines silhouettes, la manière abrégée et incisive en tout. Zola, au contraire, s’étalait, expliquait, discutaillait et donnait de plus en plus dans les godants révolutionnaires. Tout en traitant les politiciens de pierrots et de polichinelles — à cause de la clientèle réactionnaire du Figaro de Magnard — il croyait comme eux au nombre, à la quantité, à la phraséologie et à l’argent.