Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/418

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Plongé dans son col haut cravaté, important et puéril, Paul Adam s’attardait peu. Il tenait au Journal l’emploi de penseur et il pensait, en effet, sur tous les sujets, absolument au hasard, sans qu’aucune de ses profondes remarques correspondît jamais à aucune espèce de réalité. C’est un homme de génie pour primaires ou Iroquois. Il est né séparé du vrai. Juste ciel, quel mauvais écrivain ! On ne peut parcourir dix lignes de lui sans rencontrer un caillou, une ronce, un mot pas à sa place, pris dans un faux sens, une locution prétentieuse ou bâtarde. Son originalité consiste à retourner les poncifs, à coiffer le banal d’un bonnet à grelots. On m’objecte qu’il est un acharné travailleur, qu’il a publié cinquante volumes. J’aurais préféré, pour sa gloire, qu’il ne fît rien et regardât simplement couler l’eau. Un pareil amas de scories est un lourd bagage d’outre-tombe. Puis a-t-on le droit d’infliger ainsi le Purgatoire à ses lecteurs ?

Je n’ai jamais adressé la parole à Paul Adam. Il ne m’a jamais adressé la parole. Nous ne nous connaissons que de vue. Cela vaut mieux ainsi. Je n’aurais pu m’empêcher de lui dire l’épouvante que m’inspirent son affreux style, le massacre qu’il fait de la langue française et le gâchipatafouillis de sa pauvre cervelle. Ce néant de bibliothèque m’est aussi odieux que le néant salonnard d’un Prévost. Cette eau de méninges vaut ces eaux de toilette. J’applaudis aux vers de Tristan Bernard :

Nous lirons le Mystère des foules
De notre ami Paul Adam,
Quand les poules, poules, poules,
Quand les poules auront des dents.

En ce temps-là, le bruit courait que Paul Adam, ayant déniché un milliardaire américain passionné de littérature, allait fonder un grand journal quotidien. Mendès déjà s’en inquiétait, racontait, avec des hennissements de concupiscence, que l’article de tête serait payé mille francs et que l’heureux critique dramatique toucherait trente mille francs par an. Je sais, parbleu, que l’Amérique produit des fruits forcés extraordinaires ; néanmoins, la possibilité d’une poire de cette grosseur me laissait incrédule. Il n’empêche qu’une grande considération en rejaillit, pendant plusieurs mois, sur Paul Adam et sur