Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/437

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lamini des ibséniens devaient fatalement, au bout de peu d’années, appeler une réaction. Il est remarquable que celle-ci s’opéra encore sur un nom étranger, celui de Frédéric Nietzsche.

Nietzsche est mâtiné de Slave et d’Allemand, — il descendait des Nietski, — et il a subi fortement l’influence des lettres françaises. J’ai étudié son cas ailleurs. Jules de Goncourt affirmait que « ce qui entend le plus de bêtises, c’est un tableau ». Néanmoins, les œuvres de cet énervé de Germanie et en particulier Zarathoustra ont déchaîné un flot d’insanités. Il fut un temps où chaque revue française, chaque périodique contenait une apologie ou un abatage du « retour éternel », de la « morale des maîtres », du « oui encore une fois », de la « reclassification des valeurs ». L’âne joue un grand rôle dans Zarathoustra, un plus grand rôle encore dans la bibliographie du nietzschéisme. Les uns lui ont reproché d’être un thuriféraire de la force, ce qui n’a positivement aucun sens ; car une application de la force est nécessaire à toutes les opérations salutaires ici-bas, et le dédain de la force mène tout bonnement les dédaigneux à l’esclavage. Il faut que la force de ceux qui ont raison l’emporte sur la force de ceux qui ont tort, voilà tout. L’imbécile, le libéral, qui croient que personne n’a tout à fait raison ni tout à fait tort, peuvent seuls se permettre de mépriser la force, outil du droit. D’autres ont exalté Nietzsche à cause de ses blasphèmes et de son anticatholicisme, qui sont ce qu’il y a de plus niais, de plus inopérant dans son œuvre. Sur ces points, il est Homais II. Sa conception de la Rome papale est dérivée de celle de Fischart et des pamphlétaires allemands de la Réforme. Sa Généalogie de la morale est bête à pleurer. Sans compter le mortel ennui qui se dégage de ses plaisanteries épaisses, à lisière de paralysie générale.

Par contre, ses acerbes critiques de l’allemanité, — comme disait Fichte, — sont pertinentes et décisives. Son « cas Wagner » est presque un chef-d’œuvre. Je ne fais pas ici une sélection conforme à mes convictions religieuses ou politiques. Je me contente de constater. Les erreurs de Frédéric Nietzsche sont trop forcenées, trop manifestes pour être vraiment nocives. Ce qu’il y a en lui de solide, ce qui a trait à la psychophysiologie de la force n’a pas été sans nous rendre des services. Il a désengourdi