Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les miroirs, vous saurez que vous êtes en présence du vicomte d’Avenel, candidat perpétuel à l’Académie.

D’Avenel se donne comme « bien pensant », — pour employer l’horrible formule des conservateurs, — mais il flatte les puissants du jour et nul ne s’esclaffe comme lui aux séniles plaisanteries de Clemenceau. Une fois qu’il m’avait agacé par une grossière et niaise calomnie à l’endroit de quelqu’un que j’aime et respecte, je lui tins brièvement ce langage : « Si jamais cette personne venait au pouvoir, monsieur d’Avenel, vous solliciteriez l’honneur de lui lécher les pieds ». Cette remarque divertit fort le noble vicomte. Il ne connaît pas bien les gens et il lui arrive de buter contre de sérieux réverbères. Ayant écrit au Figaro, dans ce style diffus et grisâtre qui est sa manière, un article destiné à contrecarrer bassement une campagne royaliste de Maurras dans ce même journal, il s’attira, de l’auteur de l’Enquête sur la Monarchie, cette page d’anthologie vengeresse : la Ballade du pauvre vicomte, dont le refrain est : « Va cracher dans le puits, vicomte, va cracher dans le puits pour y faire des ronds ».

Aussi, quand on parle en sa présence de Maurras, le vicomte cligne des paupières, rougit légèrement et déclare : « Qui cela, monsieur Maurras ?… Je ne le connais pas ».

Certaines de ses mésaventures sont célèbres. Voulant traiter à bon marché des académiciens, — car il est riche, mais fort avare, — il leur servit un canard rouennaise à la suite duquel ils se tordirent dans des coliques sans nom. Le résultat fut une fuite de plusieurs voix dans les calculs du candidat malheureux. Gaffeur comme pas un, d’Avenel excelle à parler de corde dans la maison du pendu, à lever le sujet de conversation dangereux, à écraser le cor de son voisin de table. Averti par un contre-instinct bizarre que le coup a porté, il éclate alors en un braiement qui rappelle celui de l’âne heureux d’avoir découvert une pomme pourrie. Quand on entend ce han hi ! han hi ! on peut être sûr que le vicomte vient d’en lâcher une. Jamais je n’ai vu infatué faire un sort plus brillant à ses propres sottises.

Sa grande idée, c’est que la question du ventre, le taux de l’argent, le prix des denrées mènent le monde ; que la politique est subordonnée à l’économique, et que la crise du pain, du