Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/461

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des provinces pour laquelle Maurras promit des articles. Mon père devait nous conseiller de loin. De nouveaux capitaux étant nécessaires et les ressources de Mme Adam — qui subventionnait par ailleurs pas mal de gens et d’œuvres — n’étant pas inépuisables, on résolut de charger Paul Ménard-Dorian de réunir quelques bailleurs de fonds républicains. Il fallut donc « consulter Paul ». L’excellent homme se gratta la tête, faisant ainsi s’envoler sa mouche coutumière, prit un air profond, pesa le pour et le contre, envisagea toutes les éventualités, fit sa balance, examina les chiffres, opéra quelques additions, soustractions, multiplications, consulta lui-même plusieurs amis et industriels, ajourna sa réponse, eut une entrevue avec Alphonse Daudet, puis une autre plus longue avec Mme Adam, tâta ses coassociés, et, en fin de compte, déclara que momentanément il se réservait, mais que plus tard… Entre temps, Charles Philippe et Claude Rajon, charmants garçons l’un et l’autre, mais de tempéraments opposés, le premier aussi vif et impétueux que le second est calme et réservé, se prenaient à tic, puis en grippe, et il fallait les réconcilier deux fois par semaine. Georges Hugo a horreur des bisbilles, moi-même je ne les aime pas. Nous convînmes, d’un commun accord, que nous ferions, en nous obstinant, du mauvais travail et que nous devions renoncer à cette transformation de la Nouvelle Revue. Je revois encore le navrement de ce brave Philippe : « Mais tu es idiot… Mais vous êtes deux tourtes… Mais avant six mois, nous aurions eu cent mille abonnés ». Et il le démontrait, chiffres en mains.

Philippe avait aussi à l’époque une admiration passionnée pour deux hommes politiques : Léon Bourgeois et Descubes. Il leur prêtait presque du génie. L’un et l’autre étaient dans le privé deux personnes tout à fait agréables et simples, d’ailleurs. C’est une physionomie originale que celle de Léon Bourgeois, associé à tant de mesures de persécution anticléricale odieuses, imbéciles et funestes, et qui se présente à l’observateur impartial comme un monsieur lettré, fin, nuancé, tranquille, dédaigneux des honneurs. Il écrit mal, il pense court et petit et son contact est agréable, donne l’impression d’une nature compréhensive et loyale. L’homme est un animal divers.

Je n’ai jamais vu de monsieur plus petit que M. Rodocanachi, du conseil d’administration de la Nouvelle Revue, mais je n’en