Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/517

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la façon d’un chat caressant. C’était, hélas ! le plus doux, le plus accueillant, le plus désarmé des hommes, le moins fait pour la polémique violente. D’une intelligence très vive et très renseignée, il excellait aux rapprochements, aux réconciliations, à la dissolution, par l’amabilité, des mécontentements et des rancunes : « Mais absolument… mais certainement… mais parfaitement ». Ainsi approuvait-il d’une voix bien timbrée, un peu basse, coulant sous son lorgnon un regard de velours. À la mort de Chauchard, voyant un autre héritier du Crésus de la bonneterie passer en cinq minutes, comme dans une comédie de Plaute, de la demi-purée à la grande fortune, et mal accueilli par la foule envieuse, il eut ce mot charmant : « Ce pauvre un tel, il aura eu toute sa vie des ennuis d’argent ! » Voilà le Parisien type, n’appuyant pas, glissant et manœuvrant à travers les difficultés et les caractères mal commodes, serviable, aisément apitoyé, généreux, redoutant les histoires, confident des faiblesses et des mésaventures d’autrui, habile à panser les plaies. Il avait pour les femmes, même déchues, un respect incroyable et des attentions d’une délicatesse infinie. Il ne rebutait personne : ni le pauvre petit confrère, son manuscrit crasseux dans sa poche, ni la comédienne de soixante ans habillée en jeune fille, avec une natte dans le dos, ni l’inventeur muni de ses épures, ni le politicien hanté par le juge, ni le juge désireux d’apaiser le politicien, ni le fonctionnaire avide d’avancement. Il écoutait tout et tous : « Mais absolument… mais certainement… mais parfaitement… »

Il avait des amis bizarres : Waldeck-Rousseau, Emmanuel Arène, Poirier, Chauchard. Passe pour Waldeck, le « Périclès » de Haraucourt, que j’ai toujours considéré comme un aveugle et un très petit esprit, mais Emmanuel Arène, cet écumeur passé du maquis au ruisseau, ce forban à tête de lama ! Mais ce vieil abruti, ce falot collectionneur de croûtes baptisées Turner, qu’était Chauchard, avec ses favoris de deux mètres de long, son masque de singe, son bosselard posé de travers et son ostentation ! Mais Poirier, avec ses grâces de ventouseuse à barbe !… Quand on parlait sans mansuétude, chez Mme de Loynes, d’un de ces quatre bonshommes en vedette, Calmette souffrait visiblement et notre amie implorait : « Monsieur Lemaître, Léon, ami Vallier, vous faites de la peine à Calmette ».