Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE V


Une soirée en l’honneur d’un héros. — L’Exposition de 1900.

L’aube du nouveau siècle.



Il est toujours bon de savoir comment est fait un héros. Je me rappelle, comme si c’était hier, la première fois où je vis Jean Marchand, au retour de sa traversée de l’Afrique, chez Mariéton, 9, rue Richepanse, dans son petit rez-de-chaussée encombré de livres et de bibelots. Notre Pauloun donnait à dîner ce jour-là, entre le mur et la porte, à deux pas du piano. Le menu, commandé chez Prunier, tout proche, comportait un consommé, un poisson, un rôti, un poulet au riz et à deux sauces, l’une blanche, l’autre au carry, et une glace. Le brave concierge servait le repas. On mangeait, on buvait, on récitait des vers, on chantait, on discutait littérature, poésie, philosophie. De ravissantes jeunes femmes, appartenant à la société ou au théâtre, donnaient la réplique au maître de maison et à ses convives, excitaient l’émulation des inventeurs et des lyriques, ainsi que jadis aux cours d’amour. On ne peut rien imaginer de plus gentil, de plus vivant, de plus cordial. La taquinerie elle-même était ailée, et jamais une sottise, ni un mot équivoque, ni un gêneur n’étaient tolérés dans ces réunions.

La table était servie, la soupe fumante. La porte s’ouvrit et Marchand parut, mince, droit, en habit, avec sa figure pâle, sa barbe noire bien taillée, ses yeux aimables, si fiers et si rieurs. C’étaient la gloire, l’honneur, le courage qui entraient avec lui, mais dans un cortège si simple qu’on les eût pris pour des habitudes, non pour d’exceptionnelles compagnes. Un mot latin peint tout cela : Virtus. Le grand soldat s’y prit de telle sorte