Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
622
SALONS ET JOURNAUX

« Fœmina » écrivant régulièrement au Figaro, on voyait chez elle presque chaque dimanche, autour de la table du goûter : Gaston Calmette, gourmand, velouté, subtil, caressant comme un chat, « assurément, mais absolument, mais c’est entendu, mais cela va de soi » ; son secrétaire de la rédaction Vonoven, tout à fait agréable et discret, qui connaît le monde de la presse sur le bout du doigt ; Francis Chevassu, érudit, bon camarade, flâneur, musardier même au dire des figaristes et auquel il faut tirer son article presque de force, comme à notre cher Pierre Lalo ; André Beaunier, déjà nommé, actif, combatif et naturellement gai ; Forain enfin, qui interrompait ses magnifiques improvisations belliqueuses d’une bouchée de sandwich et d’une lampée de porto. Personne n’a imité, n’imitera jamais Sardou comme Chevassu ; personne ne rit de meilleur cœur, ni ne définit avec plus de bonheur que Beaunier ; et personne n’a les trouvailles de Forain, comparables à ces sardines brillantes qui se mangent presque vives, au sortir de l’eau dans les délicieux petits ports bretons. De sorte que cette assemblée au complet était une fête de l’esprit. Chevassu et Forain mettaient leur prochain en grillades, tartines, boulettes et chaud-froid ; Beaunier et Calmette demandaient qu’on fît des exceptions, ce qui augmentait, bien entendu, l’appétit des cannibales ; lyriques, prosateurs et critiques prenaient la parole tous à la fois, cependant que la maîtresse de maison, attentive à sa chère ménagerie, faisait renouveler, comme dans les contes de fées, les boissons et les friandises, atténuait, d’un mot, les pointes trop acérées.