Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/71

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Arène et Mendès étaient aussi des familiers d’Alphonse Lemerre et, parmi tant de divergences, Coppée et Mendès demeuraient liés. Quand on signalait à Coppée cette bizarrerie, il répondait : « Que voulez-vous ?… deux vieux chevaux de retour du Parnasse… » Car, dès la quarantaine, il s’étiqueta vieux, malgré la jeunesse de son rire et la persistante fraîcheur de ses sentiments.

Venaient encore assidûment au passage Choiseul : Valade et Mérat, deux poètes inséparables, que l’on appelait Malade et Vérat ; le brave petit André Lemoyne, aimable et sautillant, qui mâchonnait ses vers comme un lapin fait d’une feuille de chou ; Léon Dierx, raisonnable, luisant et immobile ainsi qu’une boule d’escalier. Le docteur Cazalis enfin, qui signait Jean Lahor, débordait de confraternité et d’enthousiasme, citait à tout bout de champ du Marc-Aurèle et du Confucius, de l’Épictète et du Ramayana, du Shelley, du Byron et du Keats. Sa conversation était un pot-pourri d’extraits sublimes, coupé de « tonnant, tonnant » de « ft’étonnant », car il zozotait et, tout en s’émerveillant, tripotait les mains, les épaules ou la cravate de son interlocuteur. Il me détachait régulièrement mon bouton de col, puis, satisfait de son travail, courait aussitôt à un autre, en vociférant un fragment de ses Indiens, une strophe de Li-taï-pé ou de Thou-fou. C’était un cher bonhomme, certes, terriblement ennuyeux quand on était pressé, mais sans cesse féru d’une nouvelle marotte, protection des paysages, certificat physiologique de mariage, maison esthétique à l’usage des classes pauvres, et toujours trépidant, et toujours convaincu, et toujours sous vapeur. J’espère, pour ses voisins des Champs-Élysées, qu’il s’est un peu calmé depuis sa mort.

Mendès affichait, vis-à-vis de Dierx, un immense respect, une quasi-vénération. J’ai toujours soupçonné qu’il entrait là dedans quelque comédie. Il se servait de Dierx pour en écraser d’autres et embêter Villiers de l’Isle-Adam.

Cependant vivait à l’écart, écrivant à la Liberté des articles de critique remarquables et remarqués, fréquentant chez quelques amis intimes, dont mon père et Albert Duruy, un homme jeune encore, barbu, mince et solide, à la chevelure de jais, abondante, aplatie et rejetée en arrière, aux yeux brillants, que l’on appelait Édouard Drumont. Nous l’aimions beaucoup.