Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/172

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l’humanité est un idéal politique et social. Il y a sans doute cette différence très importante que Herder sous-entend toujours l’humanité chrétienne ; mais c’est la même ferveur, la même foi, le même enthousiasme. Le triomphe de la civilisation sera de supprimer les barrières entre les peuples : chacun ne verra plus sa patrie que dans l’humanité.

D’où vient qu’en Allemagne les esprits les plus divers s’accordent ainsi à rejeter le patriotisme dans l’antiquité classique, et ne veulent en entendre parler que pour les héros de Plutarque et de Tite Live ? L’état politique de l’Allemagne au XVIIIe siècle rend compte du fait dans une certaine mesure. À vrai dire, il n’y avait pas d’Allemagne, mais seulement des états allemands, de toute grandeur, de toute forme, de tout esprit. Loin de chercher à s’unir, ces états ne craignaient rien tant qu’une solidarité effective qui eût compromis leur indépendance. On comprenait encore le patriotisme prussien ou le patriotisme autrichien, fait surtout d’orgueil militaire, mais non le patriotisme allemand, qui, pour trouver un objet, devait remonter avec Klopstock à Henri l’Oiseleur ou à Arminius.

Cette explication n’est pas cependant suffisante. L’histoire nous montre d’autres pays où le regret au moins de l’unité nationale perdue a survécu pendant des siècles au morcellement politique ; où, même dans les conditions les plus défavorables, l’amour ardent de la patrie, joint à la haine de l’étranger, n’a jamais complètement disparu. Il y a toujours eu des patriotes en Italie, même lorsqu’il n’y avait pas de patrie. En Allemagne, au contraire, l’indifférence des gens de lettres et des penseurs pour les