Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/209

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mutuels, au plus grand avantage de tous deux ? La première hypothèse est inadmissible. Se pourrait-il que toute autorité humaine fût ainsi sans rapport avec la puissance divine ? Partout la force règne. Cela est incontestable. Cela est un fait. Et nulle part elle n’y aurait droit ? — Malheureusement l’article tourne court. Mais ce début suffit à mettre en pleine lumière une idée avec laquelle les Français ne sont guère familiers, et qui tient une place considérable dans l’histoire de l’esprit allemand. Les Français se complaisent dans l’opposition du fait et du droit. À leurs yeux, le droit est ce qui doit être, quand même cela ne serait pas et ne pourrait plus jamais être. Un droit que l’histoire semble avoir condamné n’en subsiste pas moins pour eux dans son inviolabilité morale. Jamais les faits ne peuvent avoir raison contre le droit. Qu’il s’agisse de la Grèce ou de la Pologne, de l’Italie ou de l’Irlande, les Français veulent croire au triomphe définitif des causes qui leur paraissent justes. Cette tendance idéaliste a toujours été très marquée chez eux. Plus d’une fois elle les a poussés à se faire les champions des opprimés.

L’esprit germanique ne s’attache pas avec cette opiniâtreté invincible à l’antithèse du droit et de la force. Sans doute, il sépare aussi le droit du fait, ce qui doit être de ce qui est. Mais il ne croit pas cette distinction définitive et absolue. Le droit n’est pas une réalité d’essence supérieure, intangible et imprescriptible ; pour exister pleinement, il doit se traduire dans le fait. Réciproquement le fait, par cela seul qu’il existe, a quelque dignité et quelque droit au respect. De sa double éducation chrétienne et philosophique, l’esprit allemand a retenu qu’il y a