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des chrétiens sans que naisse une notion nouvelle des choses ; à l’intérieur de la vie spirituelle sans doute, s’introduit (et encore nous verrons avec quelle restriction) cette notion de crise imprévisible, d’initiative absolue que la cosmologie grecque avait essayé d’effacer ; mais ce sentiment de l’histoire et de l’évolution ne se réalisera en une conception d’ensemble des choses que grâce à l’expérience infiniment accrue de l’homme dans le temps et dans l’espace, grâce à la refonte méthodique de cette curiosité grecque, que blâmaient déjà les stoïciens.

Nous espérons donc montrer, dans ce chapitre et les suivants, que le développement de la pensée philosophique n’a pas été fortement influencé par l’avènement du christianisme, et, pour résumer notre pensée en un mot, qu’il n’y a pas de philosophie chrétienne.

Nous ne prétendons pas, dans les lignes qui suivent, faire une histoire résumée de la dogmatique chrétienne aux premiers siècles ; des noms importants manqueront dans ce chapitre, parce qu’il étudie le christianisme non en lui-même, mais en son rapport avec la philosophie grecque.


II. – Saint Paul et l’hellénisme.


La pensée chrétienne a passé, à la fin de l’antiquité, par les mêmes étapes que la pensée païenne. À l’enseignement moral de l’époque impériale correspondent (on l’a souvent remarqué à propos de Sénèque) la prédication et les épîtres de saint Paul. À la période de formation et d’éclosion du néoplatonisme, à la fin du ier et au iie siècles répondent le quatrième évangile, les apologistes et le développement des systèmes gnostiques. Au point de maturité du platonisme avec Plotin, correspond la formation des vastes synthèses théologiques de Clément et d’Origène au didascalie d’Alexandrie. Proclus et Damascius ont pour contrepartie vers la même époque saint Augustin, les pères de Cappadoce, puis tous ceux qu’on peut appeler, les néoplatoniciens chrétiens, comme Némésius et Denys l’Aréopagite.

Même courbe du mouvement spirituel des deux côtés, même tendance à passer d’une vie morale et religieuse surtout intérieure, reposant sur la confiance en Dieu, à une théologie doctrinale et dogmatique, qui parle de Dieu dans l’absolu plutôt que des rapports de l’homme avec Dieu.