Page:Lévy-Bruhl - Revue philosophique de la France et de l’étranger, 103.djvu/50

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n’est pas qu’il est et de ce qui est qu’il n’est pas, signifie affirmer le faux. » Cette définition vivait au cœur des Anciens, de même qu’elle persiste encore en nos âmes, bien que la théorie de la connaissance ait déjà maintes fois établi son insuffisance. Cependant, elle peut satisfaire aux besoins du sens commun, ainsi qu’à ceux de l’investigation scientifique. Sous l’action de la chaleur les corps se dilatent, sous l’action du froid ils se contractent, et le charron qui encercle sa roue d’une bande de fer et le physicien qui établit la théorie si complexe de la chaleur, considèrent tous deux cette affirmation comme vraie, car elle est construite d’après la règle d’Aristote ; et elle conserve sa valeur pour toutes les théories qui s’opposent entre elles celles de Copernic et de Ptolomée, celles de Newton et d’Einstein, celles de Lobatchevsky et d’Euclide. C’est pourquoi il ne vient pas moins à l’esprit des savants, quel que soit le sujet de leurs discussions, de se demander qu’est-ce que la vérité ? Ils sont persuadés d’avance qu’ils savent ce qu’elle est, et que Ptolomée et Copernic, Einstein et Newton, le charron et le menuisier, — tous cherchent une seule et même chose lorsqu’ils cherchent la vérité ; sous ce rapport donc le savant et l’homme de bon sens ne diffèrent pas entre eux. De la science et du bon sens ce principe passa à la philosophie. Les philosophes discutent aussi entre eux et démontrent ; ils partent donc de ce postulat qu’il existe un certain modèle type, auquel, s’ils veulent être vrais, nos jugements doivent se conformer. Il est impossible que les corps se dilatent et se contractent en même temps sous l’action de la chaleur, il est impossible que le poids spécifique du mercure soit à la fois supérieur et inférieur à celui de l’eau, que la vitesse de la lumière soit une vitesse limite et qu’en même temps il y ait des vitesses supérieures à 300 000 kilomètres à la seconde, etc. Tout est régi par le principe de la contradiction, pour lequel Aristote trouva aussi une excellente formule et qu’il proclama. « βεβαιωτάτη τῶν ἀρχῶν », (principe le plus inébranlable). Mais, chose extraordinaire, Aristote qui nous avait expliqué ce qu’était la vérité, et qui avait placé celle-ci sous la haute protection du tout-puissant principe de contradiction, Aristote apprit qu’un des plus grands philosophes de l’Antiquité, Héraclite, ne reconnaissait pas le principe de contradiction. Il faut croire qu’Aristote, malgré son assurance, en fut fort troublé : il revient deux fois à cette question dans sa Métaphysique. La première fois il se contente d’une