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ne servait absolument à rien à celui qui voudrait aborder l’étude directe des œuvres du philosophe^^1 », conclut à la nécessité d’une étude-commentaire qui, suivant pas à pas la formation de la pensée et du langage hégéliens, éclairerait l’une par l’autre et permettrait ainsi de pénétrer enfin dans ce monde de pensée, à ce qui paraît, presque entièrement fermé^^2 jusqu’ici. Et que M. Ch. Andler, tout en proclamant la possibilité de traduire la Phénoménologie de l’esprit et de la rendre en un français intelligible, réclame – comme première chose à faire la constitution d’un lexique, d’un Hegel-Lexicon, tel qu’il en existe pour Aristote ou Platon^^3.

Ces témoignages se passent de commentaire. L’incompréhensibilité de la langue et surtout de la terminologie de Hegel est incontestable. La nécessité de constituer un Hegel-Lexicon est patente. Il est à considérer cependant que la constitution même d’un tel lexique présente une difficulté, non insurmontable il est vrai, mais réelle il est clair, notamment que, pour faire ce lexique, c’est-à-dire pour distinguer et préciser les acceptions différentes des termes employés par Hegel, il faut commencer par en comprendre le sens. On paraît aboutir ainsi à ce fameux « cercle » que tous les logiciens — sauf Hegel — ont toujours déclaré inadmisible et « vicieux ».

Mais, en fait, pourquoi le langage de Hegel est-il incompréhensible ? quelle est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la nature de cette incompréhensibilité ?

Il est très certain que les plaintes de ses historiens et commentateurs, aussi fondées qu’elles le soient, auraient, s’il avait pu les connaître à la fois amusé et indigné Hegel.

Elles l’auraient amusé parce que, ainsi que nous le verrons par la suite, l’incompréhension était, pour ainsi dire, prévue par le système lui-même^^4. Mais les reproches de parler une langue arti-

1. Th. Haering, Hegel, sein Wollen und sein Werk, Leipzig, 1929, préface.

2. Que la pensée de Hegel soit restée incomprise, telle est aussi l’opinion de M. R. Kroner, voir son Von Kant bis Hegel, vol. ii, Tübingen, 1924, p. 231 sq.

3. Voir le compte rendu des cours de M. Andler au Collège de France dans mon « Rapport sur l’état des Études hégéliennes en France », in Verhandlungen des ersten Hegelkongresses, Tübingen, 1930, p. 104.

4. La philosophie de Hegel prétendant réaliser un mode de pensée nouveau, marquant une étape nouvelle et supérieure de l’évolution de l’esprit, un pas décisif fait en avant, il est clair qu’eue ne pouvait être comprise par ceux qui, d’après leur mode de pensée, étaient restés en arrière et n’étaient pas ses