Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/135

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loin d’elle avec dédain et m’enleva toutes ses faveurs. Et je sus depuis qu’à un traitement semblable elle avait soumis mille autres amants, et tous sans qu’ils l’eussent mérité.

« Et pour qu’ils n’aillent pas à travers le monde raconter sa vie lascive, elle les change çà et là sur cette terre féconde, les uns en sapins, les autres en oliviers, ceux-ci en palmiers, ceux-là en cèdres, d’autres enfin en myrtes, comme tu me vois, sur la verle rive. Plusieurs ont été transformés en fontaine limpide, quelques-uns en bêtes féroces, selon le caprice de cette fée altière.

« Et toi, qui es venu en cette île par un chemin inusité, tu seras cause que quelqu’un de ses amants sera changé en pierre, en fontaine ou en arbre. Tu recevras d’Alcine le sceptre et la puissance, et tu seras plus heureux que n’importe quel mortel. Mais sois assuré que tu ne tarderas pas à devenir bête, fontaine, arbre ou rocher.

« Je t’en donne volontiers avis ; non pas que je pense que cela te doive préserver du danger, mais il vaut mieux que tu n’y courres pas sans être prévenu, et que tu connaisses une partie des façons d’agir d’Alcine ; car peut-être, de même que le visage des hommes diffère, leur esprit et leur caractère sont différents. Tu sauras peut-être échapper au mal que mille autres n’ont pas su éviter. »

Roger, à qui la renommée avait appris qu’Astolphe était cousin de sa dame, s’affligea beaucoup de ce que sa forme véritable eût été changée en