Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veille toujours sur elle, sachant qu’elle doit être la souche d’hommes invincibles, presque de demi-dieux, veut savoir chaque jour ce qu’elle fait, ce qu’elle dit. Chaque jour, elle interroge le sort à son sujet. Comment Roger a été délivré, puis perdu, et comment il est allé dans l’Inde, elle a tout su.

Elle l’avait vu, en effet, sur ce cheval qu’on ne peut diriger et qui ne supporte pas de frein, parcourir au loin d’immenses distances, par des chemins périlleux et inusités. Et elle savait bien qu’il était plongé dans les jeux et dans les fêtes, dans les plaisirs de la table et dans les molles délices de l’oisiveté ; et qu’il n’avait plus souvenir ni de son prince, ni de sa dame, ni de son honneur ;

Et qu’un aussi gentil chevalier risquait ainsi de consumer la fleur de ses plus belles années dans une longue inertie, et de perdre en même temps son corps et son âme. Elle voyait qu’en sa plus verte jeunesse allait être fauché et détruit son honneur, seule chose qui reste de nous après que tout le reste est mort, qui arrache l’homme à la tombe et le fasse revivre à toujours.

Mais la gente magicienne, qui avait plus souci de Roger qu’il n’en avait de lui-même, résolut de le ramener à la vertu par un chemin âpre et dur, et s’il le fallait malgré lui. Ainsi un médecin expérimenté soigne avec le fer, le feu et parfois le poison, le malade qui, tout d’abord, repousse ses remèdes et puis, s’en trouvant bien, finit par l’en remercier.

Elle était sévère pour lui, et n’était pas aveu-