Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/162

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sait les yeux, mais qui frappait l’âme d’un tel anéantissement, qu’elle semblait être exhalée du corps. Il le prit, et se le mit au cou, tout recouvert du voile de soie avec lequel il l’avait trouvé.

Puis il alla à l’écurie, et fit mettre la bride et la selle à un destrier plus noir que la poix. Mélisse l’avait prévenu d’agir ainsi,car elle connaissait ce cheval qui s’appelait Rabican, et elle savait combien il était rapide à la course. C’était le même qui avait été porté en ces lieux par la baleine, avec le malheureux chevalier, à cette heure jouet des vents sur le bord de la mer.

Il aurait pu aussi prendre l’hippogriffe qui était attaché à côté de Rabican, mais la magicienne lui avait dit : « N’oublie pas, tu le sais, combien il est indocile. » Et elle lui promit que le jour suivant elle le ferait sortir de ce pays et le lui amènerait dans un endroit où elle lui apprendrait à le dompter et à le faire obéir en tout.

En le laissant, du reste, il ne donnerait aucun soupçon de la fuite qu’il préméditait. Roger fit comme le voulait Mélisse qui, toujours invisible, lui parlait à l’oreille. Ainsi dissimulant, il sortit du palais corrompu et efféminé de la vieille putain, et il arriva à une des portes de la ville où aboutissait la route qui conduit chez Logistilla.

Assailli à l’improviste par les gardes, il se jeta sur eux le fer à la main, laissant celui-ci blessé, celui-là mort, et, peu à peu, gagna le pont en dehors duquel il prit sa course. Avant qu’Alcine en eût été avisée, Roger avait franchi un grand espace.